L’Ecume des jours est l’exact opposé du très beau The We and the I : à la fluidité et l’extrême  contemporanéité de ce dernier répond ici l’adaptation rétro-populo avec gros casting. Le film a en cela des airs de défi pour Gondry, façon pour lui, peut-être, de tester la plasticité de son style et sa faculté à ingurgiter tout ce qu’on lui tend, en triturant le roman, les acteurs, jusqu’à en faire les rouages d’un petit théâtre mécanique. Gondry est peut-être en cela le seul réalisateur français capable de s’atteler à un tel projet sans se faire entièrement happer par lui.

 

Cela marche d’abord très bien, dans une première partie visuellement très impressionnante et comparable à l’entrée dans un magasin de jouets : les babioles bougent et brillent, on a envie de tout toucher, le moindre plan fourmille de mille petits bidules rigolos et gondriens qui viennent se fondre dans les créations littéraires de Vian – nourriture tricotée, paire de Creepers vivantes, sonnette-scarabée, Pian’ocktail… On se croirait perdu dans une machine folle, une sorte d’installation d’art contemporain aux organes de laine et de métal. De fait, on est toujours chez Gondry à l’intérieur de quelque chose : d’un cerveau, d’un rêve, d’une mémoire, d’un bus, d’un organe, d’un petit nuage volant au dessus du Forum des Halles d’aujourd’hui en chantier. Et donc toujours dans une chambre d’enfant, espace clos où peuvent s’empiler les idées, les affects et les songes, qui sont autant de joujoux mécaniques, et où opère toujours la même logique de confinement, culminant ici dans la scène de mariage saturée d’eau ou ce moment où les murs se resserrent autour de Colin qui vient d’apprendre que Chloé est malade.

 

Le contenu des rêves, les replis du cerveau, l’intérieur d’une mécanique sont dépiautés, l’espace est toujours un espace mental, qui se dilate et se rétracte, s’éclaircit ou s’obscurcit en fonction des affects – cf. les cheveux multicolores de Kate Winslet dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Ce style aux allures de cosmogonie claustrophobique (qui est voisin de de ceux de Wes Anderson, Spike Jonze, ou Tim Burton) embrasse aussi bien la réussite que les limites de l’entreprise Gondry. Acteurs et romans, embarqués dans le manège stylistique qui s’emballe, finissent éjectés par dessus bord. C’est un écueil inverse à celui qui menace d’habitude les adaptations : à faire trop de place à son attirail d’artificier-marchand de sables, Gondry n’en laisse que peu au roman.

 

Réussite et limites se conjuguent dans la deuxième partie, assez pataude et répétitive, où la logique grondrienne de mécanique plaquée sur du vivant (exemplairement, l’animation en stop-motion présente dans presque tous ses films et clips, qui tire un mouvement à partir de l’inerte), se vide de sa grâce et finit par grincer. Déclinant de la couleur à la grisaille en passant par le sépia, le film accompagne à la fois volontairement et malgré lui le destin de Chloé et Colin, pour finir par ressembler à une décharge où s’accumulent fleurs fanées, membres déboîtés, moisissures, objets tordus. La profusion échouant en trop-plein nauséeux, il est tentant de voir, dans l’image d’un rouleau compresseur venu de nulle part pour écraser une masse informe d’objets, un pur et simple lapsus.