Judd Apatow n’a jamais caché son admiration pour Harold Ramis. Lui confier le rôle du père dans En cloque, mode d’emploi tenait d’ailleurs d’avantage de l’aveu que du clin d’œil ; une manière pour lui de faire allégeance à une certaine tradition de la comédie américaine. Le pas suivant, c’est cet An 1. Une tentative de ressusciter son cinéaste fétiche, de relancer sa carrière artistiquement et commercialement à bout de souffle. Le prétexte ? Une comédie (pré)historique emmenée par un Jack Black en mode pétomane. Un sujet vendeur, une star bankable, 60 millions de budget : comme un bon fils prodigue qui entretiendrait son vieux, Apatow veut remettre Ramis dans le circuit. Alors il le produit, le cautionne et lui adjoint jusqu’à son bestiaire perso (Michael Cera, Paul Rudd, Christopher Mintz-Plass…). Le genre de greffe qui vous donne l’espoir d’une miraculeuse sortie de coma. Bilan ? Aucun rejet à signaler, mais papy est toujours cataleptique.

On ne dira jamais assez le rôle joué par Harold Ramis dans la redéfinition des enjeux de la comédie américaine au début des années 90. A l’époque, le genre a le ventre mou : John Hughes a déjà donné le meilleur, les Farelly ne sont pas encore là, Blake Edwards n’en finit plus de péricliter… L’heure est, pour faire court, aux comédies romantiques calibrées (Pretty woman) et aux héritiers consanguins de Mel Brooks (Jim Abrahams). Un Jour sans fin sera la cerise sur cette mélasse : une comédie pataphysique qui va reconquérir l’espace-temps, le mettre en tension au point d’en faire la clé de voûte du système (la relation à l’espace-temps est une relation à soi), comme s’il fallait en passer par une proposition théorique radicale pour relancer la machine. Rebooter le film jusqu’à l’amélioration de son héros : jamais plus Ramis n’osera pareil principe directeur, et c’est tout juste s’il tentera, avec Multiplicity, de dupliquer la recette aux corps de son acteur. Si l’on revient – un peu longuement – sur tout ça, c’est pour mieux mesurer l’ampleur des dégâts à l’aune de cet An 1. Ce n’est pas tant le principe régressif du film qui pose problème (revisiter L’Ancien Testament avec un doigt dans le cul, mouais…) que son exécution et, c’est encore plus grave, sa finalité. Si la comédie est d’abord affaire d’ellipses et de hors champ, comment un même cinéaste peut-il passer de l’application radicale de cet axiome (Un Jour sans fin) à sa négation (L’An 1) ? Cas d’école : Jack Black et Michael Cera sont seuls dans une crypte. Pendant que le premier essaie de prier, le second s’attarde sur une statue sévèrement membrée. Retour sur Jack Black à genoux au milieu de la pièce, quand du hors-champ provient un crac ! suivi d’un cri. L’effet comique est assuré, mais ruiné rétroactivement par la littéralité du plan suivant : Michael Cera avec la bite en pierre à la main (sic). Et c’est toute la mise en scène qui fonctionne sur ce mode explicite, unidimensionnel (échelle de plan ? quelle échelle de plan ?), où la matière fécale compte plus que la distance focale.

Reste l’argumentaire initiatique. La justification de ce périple picaresque des forêts du paléolithique jusqu’aux libidineux de Sodome. Mais là encore, la frontalité de chaque plan, l’absence de point de fuite narratif ou esthétique, interdit le moindre mouvement global. Comme Endiablé, L’An 1 se réduit à une litanie de sketchs plus ou moins drôles, un Jack Black show qui s’épuise à force de ne trouver aucun relais (l’acteur n’est jamais aussi pénible que privé de mise en scène). On croit parfois à l’amorce de quelque chose, à la mise en place d’une identité propre située quelque part entre, disons, RRRrrrr !!!, La Vie de Brian et Le Chant des oiseaux. La manière dont Ramis ouvre de soudaines brèches dans son film, se dégage l’horizon d’une scène (lorsque les héros découvrent ce qui se cache derrière la montagne, la séquence de la charrette, le climax final) pourrait dessiner un semblant de vertige existentiel, se faire le prétexte à un dialogue entre les personnages et leur environnement. Mais non : le film se recroqueville aussi sec sur ses enjeux riquiquis (« la religion c’est nul, elle coupe les prépuces et sacrifie des vierges ») et embraye de gags scatos en clins d’oeil à vous claquer la paupière. Un opportunisme qui culminera dans le final, au plus fort de la bataille, avec cette harangue de Jack Black digne des pires moments de Shrek : « Yes, we can ! ». Or, non, vraiment, we can’t.