Comment passer après les Spider-man ? D’un épisode à l’autre, Sam Raimi y a si bien cadré, cerné, éreinté le genre super-héros, ses problématiques classiques et ses interrogations post-modernes qu’il a fait le vide autour de lui. Impossible de ne pas songer à ce paradigme du genre devant le Kick-Ass de Matthew Vaughn. Si le film se veut entre autre un hommage bordélique, s’il brasse quantité de référence (Watchmen, Batman, X-Men…), c’est bien à Spider-man qu’il nous renvoie d’abord avec ses ados boutonneux, son esthétique comic-book et ses interrogations sur l’héroïsme et les responsabilités. Surtout, Kick-Ass et Spidey partagent une même approche du sujet, un net penchant pour les réflexes de la teen-comédie et leur dilution dans un corps étranger. Autrement dit, le troisième film de Matthew Vaughn donne la désagréable impression de bégayer un énoncé déjà résolu. Par le meilleur élève de la classe, qui plus est.

Mais d’où filtre alors le charme indéfinissable qui finit par opérer ? La réponse tient en un mot et s’impose à mesure que les scènes s’enchaînent : l’insouciance. Mêlée à une parfaite compréhension des enjeux du genre. Adaptation d’une BD de Mark Millar qui voit un ado ordinaire s’inventer un destin de justicier, juste comme ça, parce que ça doit être cool d’être un super-héros, Kick-Ass n’est jamais à la hauteur de ses modèles (en gros Spider-manWatchmen et Supergrave), mais s’en contrefout. Il sait parfaitement qu’il passe après, qu’il ne sert à rien de nier l’évidence, alors il choisit d’assumer cet héritage pop-culturel dans toute sa foultitude. Et d’accélérer. Non pas pour passer en furie sur le cadavre de ses aînés, trop facile, mais pour surfer sur le souvenir de leurs exploits (le personnage de Nicolas Cage, bouleversante figure tutélaire). Mine de rien, Kick-Ass synthétise à merveille l’enjeu sous-jacent de toute une vague récente de films de genre : du teen-movie à l’actioner, il ne s’agit plus de tuer le père mais d’apprendre à vivre avec son poids. Le film se construit sur ce rapport au passé et la succession de constats d’échec qui en découle (pas de super-pouvoirs, pas de gadget, aucun courage, ni de beaux costumes, encore moins de grandes idées…) avant de les surmonter en fonçant tête baissée. Parce que, vraiment, ça doit être cool d’être un super-héros. Une scène obligée nous semble symptomatique de ce positionnement : lorsque vient le moment pour le héros de révéler sa véritable identité à la fille de ses rêves. Alors que d’ordinaire ce genre d’aveu donne lieu à un mini-trauma et un quart d’heure sur l’air de « Tu m’as trahie !? », ici c’est évacué en un clin d’oeil et une pulsion sexuelle : « Tu restes dormir !? ». Et tout le film fonctionne ainsi, à se jeter à l’eau en permanence, lesté de ses effets (le film est trop sûr de lui, presque crâneur) mais sauvé par sa légèreté impatiente. A la rigidité formelle des Watchmen, au case à case mortifère de Sin City, à la noirceur sentencieuse du Dark Knight, bref, à tout ce traitement supposément adulte du genre, Matthew Vaughn oppose son style récréatif qui mordorait déjà le sous-estimé Stardust. Ce mélange assez unique d’iconoclasme et de classicisme naïf, cette politique du « pourquoi pas ? » qui débouche sur des scènes méchamment casse-gueules mais emporte toujours le morceau. Car Vaughn a compris l’essentiel : soigner l’emballage, maîtriser l’emballement. Emballage, comme cette somme ahurissante d’enjeux qu’il noue et dénoue avec fluidité et décontraction. Kick-Ass, c’est la concrétion narrative des deux premiers Spider-man, de quoi remplir la saison 1 d’une série, le tout en 2h00 chrono. Emballement, comme ce sens du découpage, cet impératif de lisibilité et de pulsation qui transforme le moindre combat en chorégraphie balistique façon intro de X-Men 2. Bien sûr, tout ça n’est pas grand chose, rien qui révolutionne le genre, mais cet alliage de maîtrise cinétique et de crescendo narratif suffit à vertébrer le film et, comme une courroie de transmission, à l’entraîner sur un terrain inattendu.

Pour ça, il faudra attendre l’intervention tardive d’un double catalyseur. Alors que notre geek flotte dans son costume trop grand, que son premier exploit enflamme Youtube et qu’on le contacte via le bat-signal dernier cri (Facebook), débarque un couple improbable de super-héros. Des vrais, cette fois. Du genre à trucider du bad-guy à coups de sabres et de pistolets-mitrailleurs. Hit Girl, 11 ans, et son papounet, Big Daddy, sorte de réminiscence de Batman et Robin, amorcent une nouvelle storyline au tiers du film. Avec eux, le film prend des accents de vigilante-movie ultra-violent, un changement de ton qui contraste avec la désinvolture affichée jusqu’ici. Contraste parce que ladite violence dépasse l’artifice pop de ceux qui n’ont rien compris à Tarantino : d’abord ludique, elle devient troublante à mesure que la gamine massacre à l’aveugle, gênante quand la même gosse se fait tabasser sans ménagement, puis cathartique le temps d’une séquence de torture digne d’Al-Qaïda. En éclatant ainsi son cadre mainstream, Kick-Ass balance sa dernière boussole et se perd aux quatre vents. Un peu à la manière d’un Last action hero, voire d’un Kill Bill du pauvre, plus rien ne l’empêche de circuler entre différents registres avec gourmandise mais sans fétichisme, histoire de prendre le pouls du genre et, in fine, de son époque. Pas un hasard, donc, si tout finit par s’interpénétrer dans un étrange système d’équivalence : un champ-contre-champ pendant la scène de torture et la teen-comédie communique avec l’innommable ; un combat de rue et l’idéalisme du comic-book s’embourbe dans l’anodin du réel ; un climax d’anthologie et le fan-boy fait équipe avec ses idoles fantasmées. Comme un mille-feuilles d’images, l’échange, dans Kick-Ass, procède par accumulation. Et c’est bien connu : à force de tout retenir, on finit par tout mélanger.