Juno s’avance au devant de son public avec une étiquette indie qui n’est pas vraiment honnête, car le film est une assez grosse machine distribuée par la Fox et se tient dans le peloton de tête des favoris aux prochains Oscars. Néanmoins, on y respire partout le parfum d’un cinéma de l’à-côté. A côté de la logique des studios, le scénario de maternité propre à effrayer les ligues de vertu ; à côté : l’habillage pop de la mise en scène. A côté, la crudité des dialogues mis dans la bouche d’une adolescente de 16 ans. On sait bien, et la présence au générique du décidément délicieux Michael Cera (Supergrave) tient à nous le rappeler, qu’au contraire le trash verbal est une valeur désormais parfaitement intégrée dans le mainstream – si ce n’est dans l’esprit des traducteurs de sous-titres, toujours prompts à échanger un saperlipopette contre un fuck. Le film commence et Juno, 16 ans donc, se découvre enceinte. Le papa, c’est le gentil gringalet Paulie (Michael Cera). Juno jure ses grands dieux, en parle à sa copine, renonce à avorter dans le hall peu ragoûtant d’une clinique et se décide à faire adopter le fruit de ses entrailles par un couple recruté sur petites annonces.

On est d’emblée séduit par le personnage de Juno, gamine philosophe et cinglante à l’imparable répartie, drôle, fumant la pipe et charmante à mort – le genre de copine qu’on rêve absolument d’avoir quand on entre au lycée, qui vous fait fumer vos premières cigarettes et dont vous êtes amoureux en secret. Le film est à l’image de son personnage : immédiatement séduisant. Non : séducteur. C’est-à-dire que la séduction ne tarde pas à se montrer pour ce qu’elle est – une manière de drague. De petite princesse des faubourgs, Juno, à force d’entendre les aphorismes définitifs, les réparties volcaniques, les saillies punk que les dialoguistes lui fourrent dans la bouche à grandes pelletées et sans jamais lui laisser le temps de reprendre son souffle, Juno, donc, se dévoile rapidement en petite marionnette agitée par le scénario, petit monstre de papier, robot cute conçu pour plaire dans ses moindres détails. Elle est super Juno, mais on s’en fatigue vite : pas moyen de croire en elle autrement que comme une sorte de concept de personnage hyper-performant, gagnant à tous les coups et sur tous les tableaux.

Non sans une sorte de snobisme aguicheur, le film met toute son énergie à vanter son C.V. ultra-cute, avec sa bande-son tapissée de Moldy Peaches et de Belle & Sebastian, gentiment indépendant d’esprit avec sa manière d’assumer amoureusement tous les dévoiements de son héroïne, bien dans le mood tout en n’oubliant pas de montrer l’ambiguïté de notre temps (ces enfants qui jouent les adultes mais restent néanmoins des enfants), chic le temps d’une poignée de ralentis wes-andersonniens, Juno a tout bon, tout pour plaire, mais porte ses armes de séduction massive comme des habits trop neufs.