Il n’a fallu que deux films – Girlfight etAeon Flux – pour fixer le portrait robot du cinéma de Karyn Kusama, petite dernière des révélations sundanciennes à la fin des années 90. De la boxe (couronnement, 2000) à la SF écolo (gros plantage commercial, 2006), on y agite sans détours la vieille rengaine du girl power, déclinée sur un mode moins militant que typiquement girly : image soyeuse, ultra légère, montage obsédé par la fluidité au point de se priver de toute amplitude. Pas surprenant que Jennifer’s body, sa troisième cuvée, écrite par la scénariste phénomène du moment (Diablo Cody, ex stripteaseuse oscarisée pour Juno), suive le même parcours fléché. Pour, logiquement, déboucher sur une issue ad hoc : agréable et punchy sur la forme, immanquablement lisse sur le fond.

Slasher version femina, le pitch ne fait pas de mystères. Dans un trou perdu d’Amérique, Leatherface répond au doux nom de Jennifer, plus jolie peste du lycée qui boulotte ses soupirants masculins au clair de Lune. Megan Fox lui prête son perfect body, sa bouche en cœur et ses œillades de sexy pimbêche. Et le film, transi comme un petit fan, de reluquer au ralenti ses babines entrouvertes, entre deux rangées de casiers. Langue pendante mais pas si dupe, Kusama adjoint à Jennifer sa meilleure copine, blondinette binoclarde archi coincée (Amanda Seyfried, pas mal), qui du fond d’une cellule capitonnée, raconte le film par flash-backs interposés. Hélas, ce récit alambiqué, circonscrit paradoxalement le désir adolescent à un Yin-Yang du pauvre, avec voix off de morveuse incomprise, rock indé dans les baffles et une pelletée de métaphores pour myopes.

Mû par une suffisance de petit malin, le scénario tricote à toute vitesse l’abécédaire du genre, flirtant avec l’ironie d’un Craven (le prof manchot qui distribue les copies avec son crochet, persiflages ados en cours de sciences nat, remake déguisé des Beaux gosses) pour s’écharper dans une distanciation pompeuse qui n’avoue pas son nom. Sommet : le viol de Jennifer par un groupe de rock sataniste, où le grand guignol annule toute terreur. Si elle y laisse des plumes, Kusama survole tout cela trop vite pour exploser définitivement sur le terrain miné de Cody, la cinéaste se requinquant aux lignes les plus classiques du récit. Surtout les meurtres, de loin les meilleures séquences du film, qui lui inspirent de pertinentes visions horrifiques, qu’une subtile utilisation du numérique aiguise par éclairs (une nappe de pétrole vomie par Jennifer). Une fois lancée, l’angoisse prend partout, sans effort, au cœur d’une rangée de pavillons de banlieue avant le massacre d’un jouvenceau, ou au fond d’une piscine bouffée par la végétation. Il suffirait finalement de peu pour réveiller le potentiel de Jennifer’s body. Une ligne claire, sans doute.