Magie du calendrier, hasard facétieux des sorties qui fait se rencontrer cette semaine le film le plus méchant du monde, et, à l’autre bout du ring, la production plus gentille. D’un côté 300, gros butor sanguin, croisé de l’irrévérence bourrine (et aimable pour cette raison même) qui ferait passer John Milius pour un troubadour flower power. De l’autre, donc, ce troisième essai de Jérôme Bonnell et son intitulé de romance de gare. Révélé par Le Chignon d’Olga, Jérôme Bonnell est un cinéaste très jeune (30 ans à peine et déjà trois longs au compteur) qui fait des films très vieux. Problème des titres, d’abord, franche invitation à la moquerie. Le Chignon d’Olga, Les Yeux clairs, aujourd’hui J’attends quelqu’un. Qui pourra nous expliquer pourquoi personne n’intervient, sur la chaîne de production de ces films, pour les extirper de fonts de baptême aussi tartignolles ? L’affiche ici est à l’avenant, qu’on croirait scannée depuis la couverture d’un formulaire de convention obsèques. Et le synopsis n’a rien pour rassurer, déroulant les points de suspension comme on répand du sel sur une route gelée (le personnage, nous dit-on, « transporte un lourd secret… »). Et pourtant (points de suspension).

Pourtant, quelque chose charme dans le cinéma de Jérôme Bonnell qui, poussant son petit chariot naturaliste et rempli à ras de tartes à la crème qu’on a pourtant coutume de vomir, finit toujours par emporter l’adhésion. Tout fiche la frousse a priori : Daroussin en patron de café atrabilaire qui tombe amoureux de son coup tarifé hebdomadaire, un adonis taiseux qui revient au pays avec, disait-on, un « lourd secret… », et tout plein de gens qui se croisent, qui n’en finissent pas de se croiser, rengaine fatiguée du cinéma d’ici. Qu’est-ce qui rend le film aussi aimable au bout du compte ? Bonnell, d’abord, aime ses acteurs, qui le lui rendent toujours très bien (Serge Riaboukine, formidable dans le Chignon d’Olga). Passons sur Daroussin, ni pire ni meilleur que d’habitude, dans son emploi régulier de gentil ronchon, la poétique du petit commerce, cœur clément du bistrotier sur main calleuse de lepéniste du premier tour. Evoquons plutôt Florence Loiret-Caille, grisette habituée des films de Claire Denis, trop rare ailleurs, toujours géniale même dans la quasi-transparence. Parlons aussi du couple formé par Caravaca et Devos, caution légère du film, juste épatants (lui en quadra lunaire et bougon, elle en instit légère et sensuelle).

Il n’est pas innocent, d’ailleurs, que ces deux-là emportent ici le morceau, ou plutôt leurs personnages. C’est l’autre grande qualité du cinéma de Bonnell, qui égaie son habit naturaliste d’un goût pour le burlesque qui fait souvent mouche, et évoquerait un Bruno Podalydès en mode mineur, ce qui, déjà, n’est pas rien. Ici comme dans Le Chignon, la grosse déprime à la française (solitude, difficulté de fabriquer du lien durable) se double toujours de son pendant gracile, sur le versant du pur comique de situation. Exemple ici : tout tourne autour de liens indus, qui viennent contrarier des destins de solitude. Versant lourdingue (mais pas tant que ça, soyons honnêtes, grâce aux comédiens encore une fois) : Daroussin tombe amoureux de sa gentille pute. Versant cocasse : une punkette en fuite demande à Caravaca de lui garder son gros chien, juste pour cinq minutes, le temps d’échapper aux îlotiers. Caravaca bafouille, n’est pas emballé, mais l’autre a déjà déguerpi, pour ne jamais revenir, et lui se retrouve comme un con, accouplé de force avec le gros machin qui bave sur ses pompes ; moment d’éternité : Caravaca décide d’abandonner le chien, vérifie autour de lui que personne ne regarde, prend le large, puis se ravise, puis hésite à nouveau, finit par rentrer chez lui avec l’engin, l’adopte. Séquence aérienne d’indécision qui n’est pas sans rappeler, on le répète, le petit monde d’Albert Jeanjean. Il y a beaucoup de moments comme celui-là dans le film, qui se regarde finalement sans honte et même avec un certain plaisir. Que de tels moments émergent aussi généreusement d’un pays de cinéma dont on a, d’ordinaire, toutes les raisons de se méfier, voilà qui doit être souligné sans retenu.