Voilà le générique, exhaustif, qui s’affiche au tout début du film, puis le titre : Innocence. Brrrrr, ça tremble, les lettres. Et puis il y a un grondement sourd derrière l’écran. Visiblement, on a affaire à un « film-dérangeant ». Super. Logique, on sait que Lucile Hadzihalilovic appartient à une petite, mais bruyante, famille de « cinéastes-dérangeants » où trône Gaspard Noé. On sait aussi en quoi consiste parfois leurs bombes à eau : du bruit (sourd, de fond) ouvrant sur une espèce de fulgurance philosophique, comme si le cinéaste-dérangeant avait soudain été inspiré, tel Socrate, par son démon de feu. Dans le dernier film de Gaspard Noé -intéressant, lui-, ça donnait, on s’en souvient : « le temps détruit tout ». Là, Innocence met deux heures pour accoucher, péniblement, d’une maxime sous laquelle on pourrait subsumer le faisceau de propositions qu’il lance. Quel secret des dieux nous est livré ici ? A peu près ça : la puberté (attention, c’est fort), c’est un grand changement pour nous, les filles. Merci pour l’info.

Et comment ça s’y prend pour lancer un tel pavé dans la marre ? Par le recours archi-fastoche à une ambiance de conte, pur cache-misère. Là, c’est une sorte d’institut d’éducation de jeunes filles niché au coeur d’une forêt, où les pensionnaires arrivent dans un cercueil, prennent cours de danse et de maintien, sont soumises à un tas d’interdictions flippantes -en gros, ne pas aller voir dehors. C’est que le dehors, le hors-champ, est le lieu de tous les maléfices. Invisible, donc paré de toutes sortes de superstitions qui excitent les jeunes filles et notre oeil (car c’est aussi l’enjeu du film, tarte à la crème). Alors on ne sait pas bien ce que c’est que cette école, mais pas de doute, il s’y passe de drôles de choses. Le montage son (talons raides sur sols mouillés, silence des cavités souterraines, portes qui grincent) et la mise en scène toute en vignettes d’une informe platitude sont là pour renseigner sur cet extérieur.

C’est tout l’enjeu narratif du film, faire frictionner une pauvre dialectique : l’intérieur (où sévit une médiocre fascination plus ou moins feinte pour l’ordre et la discipline) et l’extérieur (ce gouffre aux chimères qui agite mollement quelques tabous, autre fascination riquiqui). Et puis plouf, le film déballe sa belle image signifiante (un jet d’eau éjaculatoire) et s’achève sur une espèce de twist laborieux qui ne révèle rien, sinon qu’une grande misère intellectuelle est à l’oeuvre ici. Voilà, les jeunes filles sont enfermées dans leur condition jusqu’à la puberté, qui est le moment où, on vous l’a dit, tout change. Chantant à tue-tête l’air bien connu des petits malins sûr d’eux (vous ne comprendrez pas tout à mon film, c’est lui qui vous regarde), Lucile Hadzihalilovic a oublié l’essentiel : il n’y a rien de moins dérangeant, ou subversif, qu’un film qui s’avance sous pareille bannière. Cette petite ambition mesquine de susciter quelque polémique n’expose le plus souvent qu’au ridicule achevé.