Infidèle, curieux objet d’envoûtement à la psychologie de bazar, compilation surannée et embourgeoisée des romances hallucinogènes du milieu des années 80, porte à incandescence les deux principes actifs du cinéma d’Adrian Lyne. D’une part une intrigue inepte toujours au bord du Z le plus pur : passion, encore et toujours, mais qui s’enveloppe aujourd’hui dans un discours de moraliste réactionnaire et bedonnant. Retour à la quintessence, d’autre part, de cet esthétisme BBC dont Lyne s’est fait le chantre un peu maudit depuis Neuf semaines et demi, aboutissement terminal du système formel extatique des eighties avec Scarface ou Sixième sens de Michael Mann.

Infidèle est d’abord une revisitation boursouflée de Neuf semaines et demi. Diane Lane, singeant chaque geste, attitude ou petit frisson de Kim Basinger, y mime le trouble féminin -seule et unique obsession de Lyne- dans un souci d’abandon prodigieux. Le reste est à l’avenant : on rit beaucoup aux apparitions d’Olivier Martinez, moins de la présence pathétique d’un Richard Gere menacé d’être englouti par sa caricature à chaque plan. Mais voilà : le cinéma de Lyne est ailleurs, moins dans cet éloge ridicule des apparences que dans une exacerbation d’effets fumigènes de non-profondeur qui, à force de saturation et d’enluminures, finissent par libérer le film de tout enjeu diégétique. On ne compte plus, chez lui, ces plans absolument gratuits qui, peu à peu, prennent le contrôle du film pour le porter vers un état d’hypnose inquiétante et suave.

Les deux extrémités figuratives d’Infidèle (Martinez, l’amant au devenir-cadavre / Gere, le mari fantôme qui reprend progressivement vie) ouvrent sur un ton de bouffonnerie qui, s’il prête à sourire, donne au film, sur la longueur, une étrangeté très insidieuse. Par la simplicité de son évolution, sa limpidité un peu neuneu, le rythme d’Infidèle s’apparente à celui d’un demi-sommeil, entre rêves de stuc, hallucinations violentes -la dernière partie en forme de thriller dégénéré- et torpeur inerte du réveil (le plan final sur une voiture en sur-place ne sachant pas trouver sa direction). L’ambiguïté larvée de leur état donne aux images de Lyne une puissance singulière et ténue : cette façon de s’embourber dans la surface la plus torve pour trouver un ailleurs improbable, de se vautrer dans l’artifice, la fixation, jusqu’au vertige et au détraquement du film lui-même (Diane Lane riant nerveusement d’elle-même après la première scène d’amour). La scène de rencontre des amants, représentation kitsch et théâtrale d’un déluge neptunien, est un curieux mélange de psychodrame boulevardier et de naïveté effarée. Plus tard, le pare-brise d’une voiture se couvre lentement d’eau jusqu’à plonger le plan dans le bleu. Infidèle délaisse ainsi progressivement son statut de romance inepte pour dériver vers un maniérisme formel en roue libre, décalquant des séquences entières des précédents films du réalisateur pour relancer constamment une mise en scène fonctionnant comme une sorte d’obsession ouatée qui tournerait et se retournerait sur elle-même.

De Neuf semaines et demi à Infidèle, pas d’ouverture possible, pas la moindre nouveauté dans le cinéma d’Adrian Lyne. La redécouverte de ce pôle exclusivement sensuel, irréfléchi et sans véritable conscience de lui-même du maniérisme des années 80 est ce qui rend si touchant aujourd’hui Infidèle. Le cinéma d’Adrian Lyne est une grande chambre bleue où circulent et se côtoient, dans une étrange et liquide poésie du reflet et de la surface, relents de vulgarité douce, blocs de trivialité pure, morceaux entiers de trouble et de fascination. Le flou, la non-transparence, l’épanchement ou la dilatation suspensive des plans y disent moins une quelconque vanité de l’image que ces reflux de beauté nue qui, en d’éphémères instants d’abandon -l’infinie délicatesse avec laquelle sont filmées les petits cernes de Diane Lane-, percent sa surface avant de remonter dans l’aqueuse matière de ses profondeurs.