Arnaud Desplechin _ Ils n’ont pas du Coca Life ici ? 

Chronic’art_ Le Coca Zero c’est pareil non ? 

Ah non, non non, ça n’a rien à voir. « Life » c’est le nouveau Coca bio, vert, c’est vachement bien. Je vous jure c’est vachement bien, vachement moins sucré, sans cancérigènes comme l’aspartame. C’est un sucre tiré d’une plante d’Amérique du sud. C’est mon Coca préféré. 

Parlons du film. En comparant Comment je me suis disputé et Trois souvenirs de ma jeunesse on se rend compte que cette idée de prequel est une fausse piste. Il s’agit davantage d’une version réécrite et fantasmée de la vie de Paul Dédalus.
Oui, le prequel ne devait pas me condamner à un devoir de fidélité : là où j’avais besoin que ça bouge, ça devait bouger. L’idée du prequel était surtout là pour m’exciter, pour me porter dans l’énergie de l’écriture. Il y avait cette phrase dans Comment je me suis disputé qui disait quelque chose comme : « Paul et Esther sont ensemble depuis dix ans et ça fait dix ans qu’ils ne s’entendent pas ». Et là je me pose la question : « c’est quoi ces dix ans ? ».

Le prequel n’est d’ailleurs pas une tradition française, vous aviez des exemples en tête ?

Le film peut être vu comme un hommage à la série des Doinel chez Truffaut, même si je n’en ai revu aucun.

C’est également un genre fidèle par essence dont vous faite quelque chose d’infidèle.

Un bon prequel est toujours infidèle. Il y a une chose qui est joyeusement absente de Comment je me suis disputé, c’est le thème de l’exil. Les personnages ne sont pas exilés, ils sont extrêmement parisiens, et, quand ils vont à Joinville, ils ont l’impression de partir à l’autre bout du monde. Dans Trois souvenirs le film commence et se termine au Tadjikistan et montre plusieurs exils : quand il s’enfuit de chez sa mère, puis en Russie, part à Paris puis séjourne au Tadjikistan. Donc cette seule idée d’exil rend le prequel nécessairement infidèle.

Et puis il passe de professeur de philosophie à étudiant en anthropologie…

C’est encore lié à cette idée de l’exil, puis c’est ce qui le motive.

Comment je me suis disputé est considéré comme un film générationnel, qui ramassait son époque en la prenant en flagrant délit. Ici on a le sentiment que faire un film sur une utopie empêche le film d’être tout à fait générationnel…
J’étais très étonné par cette réception à la sortie de Comment je me suis disputé. Je venais de terminer le film et les gens de Libération me disent « c’est un film générationnel », alors que je pensais avoir fait tout à fait l’inverse : l’histoire d’un mec à Normale Sup qui est en philo, qui s’habille comme un vieux monsieur, qui a des moeurs de vieux garçon… Ce personnage ne vaut que pour lui-même. Il n’est pas trendy, il n’appartient à aucun mouvement à la mode.

Les films générationnels se font toujours de manière imprévisible…

Oui c’est ça.

Et en même temps Comment je me suis disputé est un film qui parle encore à la génération d’après. Comme si des gens de moins de vingt ans y trouvaient ce qu’ils aimeraient vivre plus tard.

C’est vrai que le film parle encore aux générations d’après. Pour Trois souvenirs de ma jeunesse, j’ai eu simplement le désir de travailler avec de jeunes gens dont on ne sait pas encore s’ils sont acteurs. Ca m’a beaucoup angoissé de savoir si j’allais pouvoir avoir un rapport honnête et créatif avec eux. Je me demandais : est-ce que c’est possible ou est-ce que c’est singer une posture ?

Il y avait pas le risque de les vampiriser ?

Pas du tout, ils sont caractériels… Au point que j’avais peur : s’il y en a un qui pètait une durite, le tournage s’arrêtait…Ils ne connaissent pas mes films, ils n’aspirent pas à être acteurs et ne sont donc pas impressionnés.

Ils n’avaient pas vu Comment je me suis disputé ?
Non, et je ne leur ai jamais posé la question. J’aurais trouvé ça grossier de leur imposer de le voir. Ce film est bon pour les vieux croûtons comme moi, je leur ai donc montré autre chose.

Tess (Roman Polanski) par exemple ?

Tess c’était pour montrer à Lou un exemple de rôle lourd à porter pour une jeune actrice. Je voulais lui montrer qu’il y a des jeunes femmes dans l’histoire du cinéma qui ont pu faire un film et que dans certains cas ce sont elles qui font le film. Le personnage de Lou ne fait pas partie du groupe, elle est isolée. Il fallait donc lui montrer des films particuliers, comme Tess et A nos amours, bien sûr. J’ai aussi montré Les amours d’une blonde à toute l’équipe. J’ai aussi travaillé avec eux des scènes de Bird (Clint Eastwood), un film qui compte beaucoup pour moi. Je ne voulais pas qu’ils ne l’aiment pas, donc je leur en montrais seulement des bouts en leur disant que c’est une des histoires de couple qui m’émeut le plus. Je n’ai jamais vu Bird et Million Dollar Baby sans pleurer, c’est impossible. Dès que je raconte l’histoire, les larmes viennent. Et j’ai toujours envie de raconter l’histoire, mais là ça serait embarrassant.

En général, que reste-t-il des films vus par les acteurs ?

Je ne suis pas sûr qu’il reste des traces de ça, par exemple Lou n’a pas tellement aimé Monika, ce qui m’a évidemment scandalisé. Moi je suis à genoux devant le film et elle non, et c’est très bien comme ça. En fait, lui montrer des films sert surtout à ne pas la laisser seule avec la lourde responsabilité de porter le film, c’est une façon de lui dire : « tu vois, il y en a d’autres qui l’ont fait avant ».

En même temps c’est très « Monika » de ne pas aimer Monika…

Ah ah, oui tout à fait, « rien à foutre ! »

Et donc tout part de cette envie de travailler avec de jeunes gens inexpérimentés ?

En même temps il y a un problème dans mon cinéma : je n’improvise pas. Les premiers jours de casting je ne savais pas comment ça allait marcher. On faisait jouer des scènes que je prélevais sur d’autres films avec ce qui doit être ma façon de diriger. Le naturalisme, l’improvisation, dans mon système et mon travail ne me servent strictement à rien. Du coup, comment faire pour trouver un terrain d’entente avec des gens qui n’ont pas d’expérience et leur demander un travail qui suppose une expérience de jeu ? Donc tout l’enjeu était de faire disparaître l’opposition entre les animaux qui seraient les jeunes gens censés être spontanés et les acteurs professionnels qui seraient censés détenir l’expérience. Eclater ce verrou-là, ça m’excitait beaucoup. Humainement un casting c’est difficile, parce qu’on ne sait pas ce qu’on cherche : est-ce qu’on recherche une virtuosité ?