Alors que sa fille unique est assassinée sur son pallier, le brave flic Thomas Craven vire justicier dans la ville. Sa vengeance le mène au coeur d’un gratin politico-affairiste qui, dans le plus grand secret, malmène le peuple à coups de contamination nucléaire et de deals archi-douteux. Hors de contrôle porte mieux son titre français que son sobriquet originel, Edge of darkness, en ce sens qu’il adopte plus justement le mouvement général du film, dicté par les impulsions déglinguées de Mel Gibson, bras armé vengeur et suicidaire. A ce titre, cette nouvelle cuvée de Martin Campbell impose les retrouvailles d’une star en exil avec son public, à la manière de Wrestler avec Mickey Rourke, toutes proportions gardées.

Où se situe donc Gibson acteur, perdu depuis dix ans dans une carrière de réalisateur choc. Hors de contrôle apporte quelques réponses. Physiquement, il a morflé et l’assume sans fard. C’est le moins qu’on dire, puisque Campbell l’affuble tout du long d’un imper craspec à la Columbo, dissociant la virilité paternelle (assumée) de l’icône sexuelle, définitivement morte et enterrée. En revanche, la déglingue sociopathe de l’acteur, entretenue de Mad Max en Arme fatale, est réactivée ad hoc. Gibson sait toujours aussi bien pleurer de rage, donner des coups et souffrir dans sa chair (le gunfight final, où perclus de balles, il se meut tel Belmondo dans A bout de souffle en un chaloupé souffreteux), trembler de l’œil en vieille soupape de cocotte-minute prête à exploser.

De quoi permettre à Hors de contrôle de se démarquer discrètement de sa connotation seventies, renversant la définition de l’anti-héros. Lequel prend ici l’allure d’un monsieur tout-le-monde obstiné dans sa bien-pensance droitière : la famille et la morale avant tout. Dans ce contexte, l’habituelle figure du martyr flamboyant (le brave flic victime d’une élite pourrie jusqu’à l’os) se positionne en anarchiste aigri (un vieux garçon Houellebecquien sans ennemi dans la police, à mille lieues des machos eastwoodiens vigoureux de la grande époque) dont l’entreprise purificatrice n’est validée que par lui même. De loin l’aspect le plus passionnant d’un film qui, sans jamais la lâcher, refuse à sa star la moindre mobilisation – jusqu’aux dernières minutes, trop convenues pour gâcher totalement le dispositif général. Résultat, nul n’est nié dans l’affaire : sûrement pas le film de vengeance, promesse de pitch correctement tenue (Campbell sait y faire, sans plus), et encore moins le Gibson 2010, épave d’un genre nouveau qui, à la sagesse des vieilles gloires déchues, préfèrera toujours la folie et les trémolos hystériques.