Las Rosas, c’est le nom d’une roseraie du désert où n’éclosent que des roses des sables. Les deux plus belles s’appellent Rose, justement. La première est morte mystérieusement et son souvenir hante ceux qui l’ont connue. La seconde est une fugitive insolente et enceinte qui fuit la ville et hésite à se faire avorter. Baignée dans une lumière aveuglante, à la frontière du Mexique, la communauté recueille les femmes qui se coupent du monde pour des raisons qui leur appartiennent et qu’elles n’entendent nullement livrer, même à leurs camarades de caravanes. Les hommes eux, n’ont pas droit de cité ; ils rodent à la frontière. Un étrange shérif, ivrogne bedonnant, observe d’un œil bienveillant, quoique pas toujours vif, le sort de cette communauté. Un veuf paranoïaque, loup solitaire dans sa voiture, campe à l’affût du mystérieux auteur de texto qui le menace de mort. Un enfant supposé fou, fils chéri de la défunte Rosa, exilé de longue date et dont la communauté attend le retour tel un messie. Les pions sont en place, l’étrange partie d’échec peut commencer.

Las Rosas est un sac de noeud. Du roman de gare, il emprunte l’atmosphère mystérieuse, les fantômes des meurtres passés et les craintes de ceux à venir. Du roman à l’eau de rose, les telenovas et leurs amours malheureux. Le livre empoigne les clichés du récit de genre et cela, dès la couverture, mais refuse de s’y ancrer. Il s’envole au contraire vers un naturalisme dans ce qu’il a de plus incarné et progressiste. Ces roses maltraitées, cette Amérique désincarné des stations essence et des grands espaces, cette Amérique en plastique à la Martin Parr, Pastor en mesure la place dans l’imaginaire romanesque pour mieux les ramener vers la vie et le réel dans toute sa complexité. Il développe des héros d’une force incroyable, impossible à décrire sans déflorer l’intrigue. Mais que dire de cette relation au naturel inattendu qui se tisse entre la chef de ce refuge de caravanes, la fameuse sœur de la défunte Rose et ce shérif amoureux qui n’ose jamais livrer ses sentiments. Cette spontanéité-là, qui feint de ne jamais prendre en compte la vraie nature de cette femme, est d’une noblesse rare qu’il faut se prendre de plein fouet. Las Rosas est donc un livre difficile à évoquer, tant sa richesse tient à ses mystères, à l’honnêteté de son trait de pinceau noir et à ses trames qui savent toujours débusquer la fragilité des corps las et des visages usés. Tout ce qu’il faut dire alors, c’est que des livres comme Las Rosas, ou comme Les Noceurs, la bande dessinée n’en produit jamais dix dans une année. Des livres de jeunes auteurs qui renouent pleinement avec l’épique des récits de genre, qui prennent le monde d’aujourd’hui à bras le corps, pleins du désir d’en découdre et d’en débattre avec l’humanité.