En attendant le biopic sur Grace Kelly avec Nicole Kidman réalisé par Olivier Dahan (LOL), Hitchcock s’occupe de faire tourner la boutique, désormais bien fournie, du cinéma-empaillé. Le film se focalise sur la naissance de Psycho – comment Hitchcock, après le succès de La Mort aux trousses, s’est retrouvé seul à défendre son projet, jusqu’à devoir financer lui-même le film après que la Paramount l’a lâché. D’un point de vue purement informatif, Hitchcock ne dévoile pas plus (voire moins) que les bonus très fournis qui accompagnent le DVD du film. Soit : Psycho est le premier film hollywoodien à faire un plan sur des toilettes ; les censeurs ont cru voir des parties de corps nu dans la scène de la douche alors qu’elles ne sont que suggérée par le montage ; Hitchcock obligeait les cinémas à n’accepter personne dans la salle une fois le film commencé et invitait les spectateurs, dans une annonce, à ne rien divulguer de l’intrigue.

 

Ne reste alors qu’une trame narrative, une reconstitution assez grotesque (Hopkins qui parle la bouche en cœur et son maquillage qui semble pouvoir craqueler à tout moment) dans laquelle couler ces informations. Le film tente néanmoins de s’engager plus loin, en voulant éclairer l’œuvre d’Hitchcock par sa vie privée. Le traitement est étrange parce qu’il se fait comme à rebours d’un film comme My Week with Marilyn, où il s’agissait de tourner autour d’un mystère plutôt que de le décrypter, de constater que même décrypté, le mystère restait entier. Ici on décrypte, on dépèce même, jusqu’à que la lumière soit faite : Hitchcock, apprend-on, était un vieillard libidineux qui faisait des films pour sublimer les pulsions que lui inspiraient ses actrices. Une fois posée cette thèse révolutionnaire, le film ne cessera de la bredouiller, totalement inconséquent dans sa façon d’osciller entre le maintien du mythe et sa déconstruction, c’est-à-dire entre détails les plus prosaïques du couple Alma-Alfred  (régime forcé, jalousie, soupçon d’adultère) et les éclairs de génie du réalisateur, filmés comme des ampoules qui lui poussent au dessus de la tête et ne sont justifiés que par la pertinence rétrospective qu’on leur attribue.

 

C’est au final un étrange sentiment d’obscénité qui nous prend devant ce Hitchcock, alors même que les relations tumultueuses entre Hitchcock et ces actrices n’ont rien d’un secret, et que la thèse de la sublimation est tout à fait recevable. Cette obscénité, il la tient du manque effarant d’intelligence et de compréhension intime de son sujet. Parce que ces détails a priori passionnants ne sont là, d’abord, que pour nourrir un voyeurisme racoleur consistant à filmer la frustration sexuelle d’Hitchcock comme un symptôme bête et méchant. Tout le film vise au fond, non pas à expliquer l’œuvre d’Hitchcock par l’intime, mais à fourrager dans l’œuvre pour y glaner des miettes d’intimité, avec un désintérêt total pour l’œuvre. Biopic-charognard, donc, qui fait mine d’aimer ce qu’il ne comprend pas, et c’est cette incompréhension qui lui vaut ce regard positiviste et ce biographisme accroché à la conviction que c’est le même moi qui circule de l’œuvre à la vie. Cinéma-empaillé, où les petites mains du musée de cire s’acharnent à faire que la surface des choses soit la plus ressemblante, que les tics soient les bons, et qui arrive à faire illusion tant que les poupées restent imperturbablement figées. Cinéma de cire, qui pensait ressusciter des morts et qui enterre des vivants.