Une fois n’est pas coutume, la traduction du titre original a du bon. Porteuse d’un sens différent, qui nous permet d’envisager ce nouvel Allen d’un double point de vue – et Dieu sait, ici, que l’expression n’est pas fortuite : vous y verrez moins « flou » à la sortie de la salle !

Côté VO, donc, il serait plutôt question du puzzle invraisemblable que constitue ce film, écheveau magistralement (dé)brouillé de situations, de 85 (!) personnages et de multiples degrés de narration entremêlés… en un mot, un bordel monstre savamment ordonné par Woody, qui ne nous avait guère habitué à pareille démonstration de virtuosité -sinon par fragmentation, cf. La rose pourpre du Caire, par exemple. Représentation cinématographique idéale (et bidonnante, du moins en surface) de l’esprit de confusion, Deconstructing Harry, s’il était un tableau, serait un Picasso, ou un Braque, bref, du cubisme grand art, sexe(s) en guise de tête(s) -à moins que ce ne soit l’inverse…- et angoisses existentielles à tous les étages…

Car, c’est la VF qui nous le dit mieux, jamais le réalisateur de Manhattan ne se sera autant exposé, autant raillé et scruté le nombril qu’ici. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Woody Allen est dans ce film-là, paroxystique, quintessence d’une oeuvre éminemment autobiographique. C’est Harry/Woody (et quoique l’intéressé s’en défende…) dans tous ses états, de nerfs, de doutes métaphysiques, de rires et de larmes… Woody et les femmes, Woody et ses psys, Woody et la religion, Woody et tous ses démons… un best of Woody. C’est en cela qu’il émeut et qu’il importe, car sous son vernis loufoque et ses hallucinations se profile un film de réflexion, de mise au point : un cinéaste considérable se retourne sur sa vie, son oeuvre, n’y voyant pas toujours clair entre les deux mais tentant, ici et là, de négocier au mieux le virage. Les thuriféraires y trouveront opus majeur : sans aller jusque là (comment ne pas prendre en compte, aussi, la part d’exaspération potentielle que porte en lui ce sommet d’auto-contemplation), il faudra considérer ce Woody 98 comme une pierre de touche dans sa filmographie -il y aura, c’est sûr, un avant et un après Harry.