Dans Le Silence des agneaux, Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) effrayait davantage par sa folie potentielle que par ses actes effectifs. Enfermé pendant la majeure partie du film, le tueur en série se contentait de guider Clarice Starling vers la tanière de Buffalo Bill, LE monstre aux forfaits tangibles -ou du moins visibles à l’écran. Echappé de son asile à la fin du premier épisode, Lecter fait un retour de star via une sequel dont le titre va jusqu’à lui emprunter son prénom. Cette fois, c’est lui et personne d’autre qui tient les rênes de la terreur, tandis que Jonathan Demme passe le flambeau de la mise en scène à Ridley Scott, et Jodie Foster celui de l’agent du FBI à Julianne Moore. Le relais entre les deux actrices s’avère d’ailleurs assez problématique, s’opérant avec une sorte de transparence forcée, comparable à une usurpation d’identité dont seul le spectateur ne serait pas dupe. En même temps, le récit repose tellement sur le lien unissant Starling à Lecter qu’il aurait été difficile de s’en sortir autrement, si ce n’est grâce à une invention de scénariste forcément ridicule. Dans le genre débile, pourquoi ne pas imaginer une méga-opération de chirurgie esthétique permettant à Foster de prendre les traits de Moore pour ne plus être reconnue par Lecter ? Craignos, mais au point où il en est, le film de Scott n’aurait guère souffert d’une aberration de plus.

Au contraire, Hannibal aurait peut-être gagné à se prendre moins au sérieux et à cultiver au maximum sa tendance grand-guignolesque. Voir les trois ou quatre séquences troublantes au cours desquelles le réalisateur d’Alien introduit une horreur graphique digne d’un Cronenberg juvénile. Des effets gore qui surprennent justement par leur gratuité, leur incursion violente au cœur d’une narration qui n’en demandait pas tant. Sans dévoiler l’apothéose « cérébrale » de ces débordements de tripes et de chairs palpitantes, on ne saurait passer sous silence la stupidité du flash-back qui confronte le docteur cannibale à Mason Verger (Gary Oldman), moment d’intense sauvagerie à l’issue duquel ce dernier sera à jamais défiguré -au sens le plus fort du terme, couche de latex garantie. Homosexuel pédophile (Scott est à la limite de l’amalgame), Verger invite Lecter chez lui dans l’espoir de se livrer à on ne sait quel rituel sadique et sodomite. C’est alors que le papy vicieux lui propose de sniffer du poppers (la drogue des homosexuels, comme chacun sait), certainement mélangé à d’autres substances nettement plus corrosives. Du coup, Verger pète les plombs et, à la demande de Lecter, s’arrache des lambeaux de visage avant de les tendre à son chien, ravi par ce mets délicat !!! Ce sont ces instants d’anarchie vulgaire, presque beaufs dans leur volonté d’écœurer à tout prix, qui intriguent chez le cinéaste, bien au-delà de l’efficacité très calibrée de l’ensemble.

Car pour le reste, Hannibal se résume au cabotinage d’Hopkins (ponctué d’agaçants « Ta-ta » et « Okey-dockey »), aux mines fatiguées de Julianne Moore, et à l’ambiguïté épuisante et finalement stérile de leurs personnages. Ridley Scott a beau abuser d’opéra, d’art florentin, de ralentis ou d’images vidéo censés accentuer l’étrangeté du climat, son film ne prend véritablement forme que lorsque sa bêtise devient patente. Comme si ses bouts de pellicule sanglante et sans motifs précis avaient été arrachés à l’imaginaire du plus pervers des psychopathes.