Diane Arbus, fourrure et imaginaire, tout est compris dans le titre du film de Steven Shainberg. Que le biopic soit détourné ne change rien à l’affaire, Fur passe docilement d’une case à l’autre dans les entrepôts hollywoodiens. Un cinéaste remarqué (La Secrétaire), une paire d’acteurs chics, un sujet ad hoc, bienvenue au rayon indépendant du cinéma américain des années 2000. On ne peut voir en Fur que le produit fini d’un système économique mûri durant la dernière décennie. Période où les boites de production, avalées en succursales par les studios, construisent leurs films suivant la même logique que leur maison mère. Ainsi Fur est au biopic ce qu’Hédiard est à MacDo : un bien culturel formaté par la demande, laquelle est évidemment plus raffinée. Pour preuve, le film est une commande, le cinéaste faisant partie du packaging concocté par les producteurs. L’indépendance n’est plus qu’une marque.

Au mieux en sent-on quelques effluves. Fur est d’ailleurs un film plus odorant que tactile. La faute à l’image papier glacé, qui ripoline les poils du visage de Robert Downey Jr, dandy monstrueux qui provoque chez Diane Arbus sa vocation de portraitiste de freaks. Qu’y a-t-il à renifler ? Le dandysme justement, en tant que phénomène sociologique. Fur joue donc d’un ailleurs balisé. Le biopic n’est pas tant détourné : même progression qu’un Ray ou qu’un Walk the line, aspect forain excepté. D’abord on plante un décor, les années 50 corsetées façon Douglas Sirk avec bagnoles chromées, cigarettes et esprit réactionnaire. Vient le trauma qui détermine l’essence de l’oeuvre : Arbus, esclave snobée par une bourgeoisie moulée à la louche, une famille de fourreurs castratrice. Enfin, la révélation : être soi, libérer son talent et imposer sa vision du monde quel qu’en soit le prix : mari et enfants déboussolés, adultère, etc. Bref, se mettre à poil, ce que Nicole et Robert finissent par faire au sens littéral du terme.

Fur agrémente la recette d’atours culturels. Normal, Arbus est une icône select. Elle aime les freaks, La Belle et la bête fera l’affaire. Attention, ne pas rigoler avec la culture. Arbus avance à pas de velours dans la déglingue. Shainberg lui organise des soirées feutrées, polies, où l’on se regarde avec un air pénétrant, où l’on jouit tout doucement dans le clapotis sirupeux d’une baignoire bleu pétrole dans un délire proche du tantrisme. L’appartement de Downey est un bric-à-brac concept déjà cadré, une oeuvre d’Art livrée clé en main. Arbus n’a qu’à appuyer sur le bouton, à croire qu’elle n’a rien inventé. Quelle trajectoire dessine donc Shainberg ? Une passerelle entre une bourgeoisie réactionnaire et une bourgeoisie bohème, encanaillement passablement formatée de nos jours. La véritable Diane Arbus valait plus que cela.