Ghetto working-class coincé dans un nowhere entre la mer et l’autoroute, l’endroit est aussi perdu et marginal que la maison de Home (Ursula Meier, 2008). Sous ces pavés, la plaie : Mia (Katie Jarvis), 15 ans, brute à boutons, sans amie, sans père et sans école. Elle ne parle pas, elle hurle et plus souvent elle frappe ou danse car il n’y a que les corps pour dialoguer ici : un type marche sur les murs, d’autres font du breakdance, certains se prennent, d’autres se cognent. Tout ce qui se dit de vrai dans cette cité passe par le silence bavard de la peau. Et c’est cela que filme Andrea Arnold chez Mia: son corps isolé, jamais désiré, toujours enveloppé dans ces survêtements, surplus de peau repoussant toute approche. La délicate entreprise du film, avec la rencontre décisive de Connor (Michael Fassbender), mi-père mi-amant, consistera à déshabiller la jeune fille, dévoiler ces atouts qu’elle planquait pour la révéler femme au grand jour. Fish tank (prix du jury à Cannes 2009), c’est un film strip-tease, l’histoire cruelle d’un poisson qu’on écaille.

Les plus belles scènes sont d’ailleurs des scènes d’attouchement, de rencontre des corps, rares possibilités d’intimité dans un monde de promiscuité castratrice, celles notamment où Connor porte Mia dans ses bras ou sur son dos. Filmées au ralenti, dans un éclairage vaporeux rose-orangé ou à contre-jour, on n’y entend plus que la respiration de l’un qui épie, puis de l’autre ravi avant qu’elles ne s’unissent dans l’une des dernières scènes. Ces moments de grâces parcellaires sont d’autant plus beaux et troublants qu’ils jurent avec les accents documentaires de la mise en scène, retombant facilement aux bases du naturalisme social à la Ken Loach. Ce que réussit justement Fish tank, c’est cette infiltration d’un onirisme sans fantastique au coeur du réalisme social (ce qu’avait complètement bâclé Ken Loach dans Looking for Eric) – y incluant même une part de conte dans lequel chaque personnage serait associé à un animal (Fish tank, l’aquarium : un mini zoo).

Fish tank, pour déformer le titre du premier film d’Arnold (Red road) aurait pu s’appeler « Dead road » tant l’horizon est sinistre et l’envol impossible. Résonnant tout au long du film, tout droit sortie de la B.O. de Chungking express, California dreamin’ n’ajoute à ce constat qu’un peu plus de mélancolie. Et quand la petite famille improvisée se demande en quel animal chacun pourrait se réincarner, l’une choisit le chien, l’autre le singe, Mia le poisson ou le cheval. Et Connor de résumer le problème : « Mais ils n’ont pas d’ailes, vos animaux ». Fish tank, ce n’est pas Ricky (Ozon, 2009), et ce ne sera jamais La Mouche, seulement un peu La Chienne de Renoir. La seule métamorphose ici, c’est le temps qui l’accorde, et ça s’appelle la ride.