Délibérément du côté de la fiction, Feuille sur un oreiller s’appuie sur des données malheureusement bien réelles. Heru, Kancil et Sugeng (qui interprètent leur propre rôle et que Garin Nugroho a découvert en réalisant un documentaire sur les enfants des rues indonésiennes) sont trois jeunes garçons, livrés à eux-mêmes et confrontés à la misère, la drogue et la violence qui règnent à Yogyakarta, l’une des villes principales de l’île de Java. Abandonnés par leurs parents à leur naissance, et ne bénéficiant pas d’une identité reconnue par l’état, leur seul espoir est lié à Asih (Christine Hakim, impressionnante), femme d’une quarantaine d’années qui assure plus ou moins une fonction de mère, bien qu’éprouvant elle-même de grandes difficultés à subsister convenablement. La démarche du film est plus qu’honorable : constater et dénoncer l’horreur qui sévit en Indonésie, via notamment un trafic effroyable qui entraîne le sacrifice de nombreux enfants des rues. On promet en effet à ces derniers, sans papiers officiels, une somme d’argent conséquente s’ils endossent l’identité d’une personne qui a souscrit à une assurance vie. Au bout de quelques jours, les enfants sont assassinés et les truands touchent le pactole… Chez Garin Nugroho, la mort surgit de façon brutale et inattendue, et c’est ce danger permanent qui rôde, cette précarité de la vie que le cinéaste sait le mieux faire passer. Hélas, Feuille sur un oreiller est la plupart du temps empreint d’une joliesse qui sied mal à son sujet : images et couleurs léchées, petite musique triste… Le film propose pourtant de belles idées (par exemple, l’espèce de pantin que Heru porte sur son dos, après la mort de Kancil, comme un substitut dérisoire) mais, tout en évitant le misérabilisme (traitement de la pauvreté = traitement esthétique pauvre), il n’accède jamais à une véritable force dramatique ni -autre solution, plus dangereuse- à une poésie urbaine notable.