Le réalisateur boulimique s’expose au risque du « film pour rien ». La baisse de régime ne remet d’ailleurs pas en cause les mérites reconnus du « bourreau de travail » : ce gâchis de son talent, cette énergie dépensée à perte, ce sont des traits de caractère qu’il assume, qu’il justifie même par son goût de l’activité, de « l’aventure » comme il dit parfois. Dans le cas de Patrice Leconte, on ajoutera qu’il y a comme une sagesse qui guide la suractivité, une philosophie de modeste dont il se départ rarement et dont la teneur pourrait être à peu près : « à chaque film, j’apprends quelque chose », sagesse d’artisan qui remet l’ouvrage sur le métier, conscient de ses limites -ici, la fatigue après La Veuve de Saint-Pierre ?- de ses lauriers –Ridicule ?- et comptant par-dessus tout ne pas s’endormir dessus ; d’où la fuite en avant et ce Félix et Lola, tellement décevant, film aléatoire, velléitaire. Un petit creux de Patrice Leconte.

Félix et Lola -pourquoi Félix et Lola et pas Les Nuits du forain ? Un vrai grand jeu de rebaptiser les films !-, c’est l’histoire d’une rencontre improbable entre deux personnages. L’un -Philippe Torreton, plus « peuple » que jamais- est propriétaire d’un manège d’auto-tamponneuses et s’ennuie beaucoup. L’autre, Charlotte Gainsbourg, mystérieuse excessive, débarque de nulle part et vient bouleverser la plate existence du forain. A partir de cet argument de départ ténu et convenu -fixité de l’Amoureux, fuite de l’objet désiré dans un cadre qui bouge, la fête foraine, ville en miniature-, Patrice Leconte lance deux pistes : d’abord une image qui ouvre le film, très beau plan d’un chanteur sur scène, Alain Bashung, que vise bientôt le pistolet d’un spectateur bouleversé (par quoi ? mystère !) ; ensuite, la relation très étrange de Lola avec un homme qu’elle a quitté et qui la prive de leur enfant commun. L’enjeu du film est dans l’implication progressive et douloureuse de Félix dans la vie de Lola, qui le conduira à pointer une arme sur un chanteur et à comprendre la nature de sa relation avec son ex-amant. Sans être un scénario à la Clouzot, le film doit garder une part de mystère pour ceux qui iraient le voir malgré nos conseils. On n’en dévoilera donc pas plus ; sinon pour dire que la fausse piste est le sujet du film et que Leconte s’y prend très mal pour nous « manipuler » ; en effet, la description à visée réaliste du monde forain est très grossière : repas convivial à plusieurs, où l’on profite du bon-vivre, caravanes du bonheur où l’on fait l’amour à toute heure… Or, sans cette donnée réaliste de départ, on ne peut croire à l’Etrangeté de Lola dont l’arrivée a une fonction presque magique dans le film, pour Félix en tout cas. Dans le décor artificiel et cliché où vivent ces forains, la tristesse de Lola apparaît aussi peu crédible que leurs joies. Ce qui marche parfois dans les films de Leconte, cette percée du bizarre dans le réel et dans le quotidien –Tandem, Monsieur Hire, Le Mari de la coiffeuse– échoue ici complètement ; et quand Lola dit à Félix ce qu’elle est en vérité, on se dit presque que c’est Leconte qui nous avoue sa supercherie.