Trahisons, mutilations, inceste, masochisme et torture sont, entre autres, au menu de Et les lâches s’agenouillent. C’est sûr, ça risque de faire beaucoup à digérer entre les deux réveillons pour ceux qui ne connaissent pas encore le cinéma de Guy Maddin, qui s’est pourtant, jusque-là toujours avéré un vrai cadeau de cinéphile. Pour faire court, ce résident de Winnipeg, Manitoba, n’a trouvé qu’un seul moyen de sortir de l’isolement de cette petite ville du grand nord canadien : faire des films. En s’inspirant autant de l’expressionnisme allemand que des mélos de Douglas Sirk ou des films de propagande soviétique. Voilà pour l’esthétique. Pour les scénarios, Maddin est plus littéraire, amateur des tragédies grecques comme des feuilletons les plus ébouriffés aux sous-textes aussi salaces que déviants.

Cet improbable melting-pot bouillonne jusque dans le synopsis de Et les lâches s’agenouillent : En 1930, un joueur de hockey délaisse sa fiancée et une compétition pour une mystérieuse femme fatale qui ne veut pas que ses amants la touchent tant qu’on ne leur a pas greffé les mains de son père décédé et dont la mère est coiffeuse le jour, faiseuse d’anges la nuit… Sans oublier que ce joueur s’appelle Guy Maddin et que d’autres personnages portent les prénoms de membres de sa famille. Pour définir ses films, on l’a souvent comparé à, en vrac : Lynch, Cocteau, Bunuel, Eisenstein, Anger, Murnau… Un paradoxe quand Maddin ne parle dans ses films que de lui. Et sans doute plus encore dans ce film, parfaitement assumé en tant que biographie. Logique pour un type qui a longtemps vécu une vie par procuration en bouffant tout ce qu’il pouvait comme vieux films à la télé. Comme Burton, Maddin est un enfant des « Midnight shows » et des doubles programmes de séries B gothiques. Au point d’avoir flouté ses souvenirs d’enfance avec ceux de sa cinéphilie. Les deux nourrissant les films de ce talentueux Ed Wood canadien, devenus au fil des années un mélancolique mausolée hanté par les fantômes de son étrange famille, comme par ceux d’émotions cinématographiques primales.

Plus que jamais avec Et les lâches s’agenouillent, Maddin explore ses névroses, entre crise oedipienne et indécision masculine. Qu’il soigne par un exhibitionnisme plus débridé que d’habitude : en s’imaginant en « couard » devant plier les genoux devant les normes sociales, il revendique une identité de cinéaste à part vénérant l’impact iconique des images. Et les lâches s’agenouillent ayant d’ailleurs initialement été conçu comme une installation multimédia dont les spectateurs observaient au travers de trous de serrures des scènes du film. Ce film contient l’essence du propos du réalisateur, validant l’idée que le cinéma n’est pas une reconstitution de la réalité puisqu’il possède sa propre vie, probablement plus riche quand elle se passe de tabous et de limite. A une époque où le cinéma dominant a de plus en plus de mal à s’incarner hors de tout formatage, cet acte de foi aussi combatif que délirant est tellement émouvant qu’il est difficile pour tout spectateur sensé de ne pas vouloir en devenir l’apôtre.