Hollywood n’en finissant pas de revisiter à sa manière les grands conflits universels, il était logique de tomber un jour ou l’autre sur une version Bushi-junior de la guerre en ex-Yougoslavie. En territoire ennemi apporte pas mal d’éclaircissements concernant les rapports complexes qui unissent quelques grands organismes mondiaux (ici l’OTAN, la diplomatie internationale et les Casques Bleus) et l’imaginaire patriotique américain. Le problème métaphysique du film est simple comme une réplique du plus bourrin des actioners de John Milius : plus de bonne vraie guerre aujourd’hui, plus d’occasion pour les Marines de briller hors des missions bâtardes et autres simulacres d’entraînement. La crise existentielle pour une multitude de Rambo en puissance réduits à l’état de héros inutiles et vacants.

Heureusement pour Chris Burnett, un jeune de la Navy avide d’en découdre sur le terrain, contre des ennemis en chair et en os, son avion parti en mission de reconnaissance dans une zone démilitarisée est pris en chasse par une tribu de Serbes sauvages et décadents. Perdu au milieu d’une jungle sombre et boueuse, il va enfin pouvoir réaliser son rêve : mater une armée entière d’indigènes dégénérés à lui tout-seul. En territoire ennemi, c’est l’accomplissement de l’utopie bruckheimerienne : refaire l’Histoire à la manière d’un long clip PlayStation. On peut évidemment rire à la vision de cette infâme apologie ultra-guerrière, mais pour peu de laisser son discours réactionnaire de côté, on peut aussi y trouver quelques éléments de satisfaction plutôt réjouissants. C’est que, pour John Moore, il s’agit moins de se complaire dans la triste réalité en jeu dans le film (les scènes explicatives d’ancrage historique sont carrément expédiées en deux plans sur la trogne énervée de Gene Hackman, le colonel Trautman de service) que de montrer son savoir-faire assez inouï de yes-man totalement décérébré mais non-dénué de génie en ce qui concerne l’action pure et décomplexée.

Le sujet du film n’est alors qu’un prétexte à la mise en branle d’une grande foire pyrotechnique à l’invraisemblance assumée (une course à pied au milieu de mines placées comme les haies d’un 110 mètres olympique) et au spectacle terminal d’un corps livré à lui-même dans une sorte de Loft primal et sauvage. Le style cocaïnomane de Moore, plein d’une énergie furieuse et sidérante, fait merveille au cours de scènes enchaînées à la manière d’une compilation d’épreuves anthologiques. Souvent jubilatoire par son côté « Les 12 Travaux d’Hercule au carré », En territoire ennemi se révèle alors comme un objet monstrueusement ludique, croisement fou entre l’horreur pompière d’un blockbuster type « Les Chemins de la dignité » et liberté de style digne d’un film-Dogme technoïde et surboosté.