C’est par un effet cheap, une pauvre panne d’électricité aux alentours, que se signale l’intervention divine, le grain de sel cosmique qui fait basculer la comédie dans le conte fantastique, sous-genre habituellement peu avare en subterfuges lumineux. Ici, la pensée magique qu’il s’agit de réaliser est digne d’un enfant de cinq ans. Deux amis, l’un marié et rangé, l’autre exubérant et séducteur, se retrouvent dans la peau l’un de l’autre, après s’être soulagé la vessie dans une fontaine publique paranormale, en se lamentant trop fort de leurs vies respectives. C’est une statue facétieuse, allégorie quelconque, qui semble avoir pris cette initiative fumeuse, du fond de son regard rocailleux mais affable. Le film déroule ensuite tous les potentiels – essentiellement graveleux – du microscopique argument de départ, sensé illustrer la morale toujours contenue dans l’expression « walk a mile in my shoes ».

Grande tradition hollywoodienne (culminante à Noël), le coup de pouce surnaturel à vocation moraliste connaît ses heures de gloire chez Capra, chez Ramis, mais sait aussi intervenir dans des niaiseries sans âme. Il est toujours l’occasion d’une leçon désobligeante pour le protagoniste. Echange standard s’en prend lui à une pulsion récurrente dans la comédie américaine actuelle : l’adultère. C’est une concupiscence vague, masculine toujours, bavarde surtout, que toutes sortes de rebondissements et contorsions morales permettent de réprimer. Que ce soit dans Bon à tirer, Thérapie de couples, Le Dilemme, les Very bad trip, le passage à l’acte n’arrive jamais, jusqu’à provoquer des absurdités scénaristiques. Seules les séries semblent en mesure de regarder la tromperie sans trop d’hystérie (Californication, Mad men).

Chacun aura pu identifier, cette année, l’autre versant de la comédie de mœurs, qui creuse l’incapacité pour de jeunes adultes à s’engager dans une relation amoureuse. Les copains sexuels qui ont envahi les lits hypocrites de ces derniers mois sont l’autre face de la même pièce. Les uns vivent avec une sexualité en berne, supportée par amour pour leur conjoint. Les autres souffrent d’une inaptitude aux sentiments, compensée par leur épanouissement sexuel, étendard d’une génération dont le langage s’est libéré, à l’aise avec la pornographie, affichant la liberté de leurs corps en ébullition.

Le mariage est le juge de paix de ces deux paradigmes de couple, une ligne de séparation pour deux types de tragiques détournés ; deux phobies de devoir se coltiner le blanc des yeux d’un life partner à perpétuité. Ce cinéma est d’autant plus obsédé par cette question qu’il en est embarrassé, pudibond mais volubile, toujours prompt à regarder les sujets lourds du coin de l’œil, par la blague. Hollywood étale les dysfonctionnements pour dissiper le malaise, jusqu’au rire jaune. Apatow, avec En cloque, mode d’emploi, avait réuni les deux schémas dans un même film où le couple marié se délitait doucement tandis qu’un autre n’arrivait pas à se faire. Comédies qui n’ont de romantique que le nom, elles délèguent désormais les atermoiements du cœur, les airs sentimentaux chuchotées du bout des lèvres, au pays de l’adolescence, aux films dont Michael Cera est le héros.

Celui qui fut son père dans l’excellente Arrested development, Jason Bateman, se débat dans Echange standard avec un donjuanisme chétif. Pendant ce temps, son épouse-groupie n’a qu’une aspiration : pouvoir évoluer dans la haute présence de son homme chéri, être honorée parfois de quelque geste attentionné. Olivia Wilde, la tentatrice, complète ce duo féminin de maman et de putain. Dave qui aura appris une bonne leçon reviendra finalement à la maison pour gratifier madame de sa présence scintillante ; c’est sinistre. Family man (Brett Ratner, 2000) racontait une histoire très similaire avec une certaine grâce, une vraie conviction et, surtout, avec Nicolas Cage. Déréalisé, outrancier, le film de David Dobkin n’arrive pas à la cheville de son Serial noceurs de 2005. Depuis lors, le couple hollywoodien semble s’être crispé et avec lui les comédies qui se révèlent toujours plus terrifiées par leur extérieur, par ce qu’elles ne montrent pas, qu’elles évoquent seulement, furtivement et de très loin : le quotidien.