Soulagement :Du Plomb dans la tête ne tient ni du pastiche, ni du bilan postmoderne. C’est un film de Water Hill, autrement dit, un travail de faiseur amoureux, d’expert en escogriffes rocailleux et en oiseaux de nuits. Chez lui, les vrais durs sont restés noctambules et lapidaires, depuis la noirceur néo-hollywoodienne deDriver. Noirceur qu’on allait bientôt voir se couler dans l’esthétique néon des années 80 (48 heures, Les Rues de feu). Sentir le vent tourner, se reconvertir en flairant l’air du temps, voilà la marque des artisans malins : Hill avait cette intelligence et cette force, utilisant les attentes et les cahiers des charges de chaque époque (facture, acteurs, genres, etc) comme toile de fond sur laquelle projeter ses marottes, sa mélancolie de brute épaisse, lisible dans les riffs d’harmonica salissants.

 

L’époque est dramatique pour les gens comme Hill. Précisément parce qu’elle n’a pas d’identité, de canons, plus généralement de souffle global auxquels se fier. Hollywood se préoccupe de vieilles mythologies, de vieilles formes – ou, au contraire, anticipe le futur. Le thriller nocturne, lui, s’est recyclé à la télé. Pas vraiment un inventeur de formes, Hill fait donc ce qu’il peut pour continuer, à l’intérieur du film d’action des années 2010’s (genre vaporeux, donc) ses rêves de luttes viriles entre habitués du bitume. Cette Nouvelle-Orléans ramène à son cinéma  las, doucement essoufflé, tout en restant loin de lui. Le matériau d’origine, une BD couillue signée du Français Matz, proposait pourtant une matière intemporelle (l’association du flic pas orthodoxe et du hitman solitaire en fin de parcours). Mais rien n’y fait : l’action reste mécanique, la faute sans doute à un script qui laisse peu de place à la contemplation des fonds de verres. Le film n’ose pas s’accorder ce sous-régime propre au polar, se force à embrayer rapidement, à emprunter des parures et des rythmes vaguement empruntés à l’actionner, mais le coeur n’y est pas.

 

Reste que Du Plomb dans la tête arrange un mariage qui semblait presque déterminé. Celui de Hill avec Stallone, évidemment, qui n’est pas une simple addition de puissances, ni un grand mix pop gratuit, mais une évidence qui trouve sa nécessité dans ce que l’un fait du personnage de l’autre. Pourquoi au fond caster Stallone, plutôt que n’importe quel autre vieux loup de mer ? Parce que le tueur est un prolétaire de l’ombre, associé à un petit flic sans pedigree, et que leur histoire est forcément celle d’une émancipation. Or Stallone et Hill ont tous les deux mené cette quête. Les scènes les plus vivantes sont hors de l’action : ce sont celles où les deux hommes montent leurs petites affaires, droits contre le bar ; celles où ils manigancent, échafaudent des plans, ou même patientent entre deux besognes, dans l’habitacle modeste de leur voiture, en ouvriers finauds, tandis que les encravatés des hautes sphères (policières ou criminelles) leur adressent leur mépris depuis les beaux bureaux. Souvenons-nous de ce que fut Stallone : l’acteur américain du petit peuple, décidé à sortir de son rang, pas pour la gloire mais pour la démocratie. Question de principes. Balboa ne l’a jamais quitté – même s’il a ici largement gagné en cynisme individualiste. C’est ce corps en lutte qui resplendit dans le film, ce torse cuirassé, marqué de tatouages qui sont autant de lésions résorbées, de blessures faites à la mine, ou sur le champ de bataille. Ce corps, c’est presque celui de Bronson dans Le Bagarreur, le premier long de Hill, qui précisément racontait une tentative d’ascension en pleine vaches maigres, à la force des poings, un modèle de détermination prolétarienne à faire verdir 50 Cent. Et si Stallone devait encore réussir à incarner cette détermination, c’était en toute logique chez Hill. Bonne nouvelle, donc : la star sort du registre Expendables (Sly par Sly, en plein trip nostalgique) pour renouer avec sa spécialité première. Et se force, aussi, à jouer les salopards, talent qu’on avait un peu oublié chez lui. Un salopard pragmatique, mais tout de même un salopard juste : c’est plus fort que lui.