Quoi de plus risqué que de s’attaquer à un thème aussi rebattu que celui de la dualité ? Revenir à la base constitutive de toute fiction, à la croyance filmique originelle de son spectateur : telle semble être la réponse de Pascal Alex-Vincent à cette gageure. Dont acte : Donne-moi la mains’ouvre sur une courte séquence d’animation de quelques minutes, qui pose son décor et ses personnages, avant de basculer vers la réalité. Outre un retour à ses premières armes (P-A Vincent a plusieurs courts d’animation à son actif), le réalisateur avoue et assume immédiatement le caractère affabulatoire de son propos. L’imaginaire ainsi dessiné, il ne manque plus qu’à le mettre en scène en se frottant au réel. Soit l’histoire de deux jumeaux qui, afin d’assister à l’enterrement de leur mère en Espagne, décident de traverser la France à pied.

Cette destination finale, pur McGuffin scénaristique, n’en demeure pas moins un beau prétexte, celui d’une errance sur des routes parsemée d’obstacles. Les conflits intra-fraternels (de multiples scènes de bagarre, souvent impromptues, entrecoupent le récit), les besoins (s’arrêter pour manger, dormir, travailler), ou les rencontres fortuites perturbent incessamment la fluidité d’une trajectoire en apparence toute tracée. Le film, prenant des atours de conte moderne, n’échappe pas, pour les personnages secondaires, à une typologie de caractères (la jeune auto-stoppeuse versatile, l’amant au sentimentalisme naïf…) qui glisse dangereusement vers le cliché. Mais c’est par sa fascination pour le voyage aveugle qu’il parvient à émouvoir. La poésie, qui se dégage de simples plans-séquences de marche pédestre, révèle un œil capable de capter la beauté d’un paysage éphémère, d’une météorologie aléatoire, d’un état panthéiste de l’Hexagone, malgré ses contours flous.

Pourtant, difficile au demeurant d’oublier l’expérience Gerry, le talent de Gus Van Sant à avoir su mentaliser la dissolution magnifique d’un couple jumeau (de nom) au sein d’un espace désertique. Car la marche a ici l’égale vertu d’agir comme épiphanie : celle d’une identité individuelle, prisonnière de cette gémellité naturelle. Comme deux électrons en constante attraction-répulsion, le couple Quentin-Antoine doit cheminer conjointement sur un sillon balisé, avant de bifurquer vers un chemin de traverse respectif. La découverte de soi (surtout sexuelle, sujet de discorde entre les deux frères) passe ainsi par la rupture d’un cordon ombilical, mental et filmique (le passage au hors-champ pour l’un des deux). Comme tout emprunt au thème du Doppelgänger, Donne-moi la main (beau titre trompeur) aboutit sur une mort. La confrontation avec celle-ci aura ainsi ressoudé le couple sur un même accord : celui d’une complémentarité plutôt que d’une égalité exclusive. Faire le deuil de la Mère, c’est aussi prendre congé de son double, briser le fameux stade du miroir, notion chère à la psychanalyse lacanienne. La beauté du film tient en cette conclusion discrète, taiseuse, d’une simplicité confondante et pourtant porteuse d’un héritage intellectuel lourd. En ces temps de flux incessants, Donne-moi la main croit encore au minimalisme du foot-movie. C’est tout à son honneur.