Après son premier film, Clerks, révélation de 1994, Kevin Smith s’est petit à petit éloigné du statut d’indépendant -en étant notamment producteur associé sur Will hunting de Gus Van Sant ou encore scénariste pour la Warner, avec Superman lives. Le cinéaste a cependant tenu à entretenir certaines apparences qui tendent à prouver le contraire (son livre sur le cinéma indépendant américain Spike, Mike, Slackers and Dykes et la prétendue autonomie que lui confère sa propre société de production, par exemple). Ce petit glissement vers le cinéma commercial aurait pu être considéré comme sans importance, si le talent de l’auteur était resté intact au terme des cinq années qui ont suivi son premier long métrage… Seulement l’honnêteté et la spontanéité résistent rarement face aux possibilités de faire du fric facile à l’aide d’une bonne cote de popularité… Tout en continuant à exploiter le filon du film de « slackers » à la fois crétins et attachants -afin de répondre à une demande qui s’estompera sûrement au fil du temps-, Kevin Smith nous montre malgré lui ses propres limites avec Dogma. Le seul intérêt que l’on peut trouver à cette fable biblique fantaisiste réside dans certains dialogues, que l’on croirait directement tirés de Clerks. Mais cette série de vannes, plus ou moins drôles, ne suffit pas à relever le niveau d’un scénario bien pesant…

Bethany, jeune et jolie chrétienne torturée par ses propres questionnements sur la religion, reçoit un soir la visite d’un ange porteur de la voix du Seigneur. Ce dernier est venu lui annoncer qu’elle a été désignée par le Tout-Puissant pour sauver le monde, en empêchant deux anges déchus de mettre les pieds dans une église consacrée. Assistée de deux prophètes obsédés sexuels, un clone d’Eddie Murphy soi-disant treizième apôtre et une muse céleste strip-teaseuse, notre protagoniste devra traverser le pays pour atteindre le New Jersey et ainsi empêcher la catastrophe. Durant ce long voyage se dérouleront conversations et événements, qui permettent au réalisateur de dévoiler sa vision assez personnelle de la religion catholique. On apprendra notamment qu’anges et démons peuvent parfois s’entendre au cours d’une discussion sur Star wars, que l’Immaculée Conception peut être le résultat d’une éjaculation précoce, et que Dieu prend plaisir à faire ses apparitions sous la forme d’Alanis Morissette…

Mais derrière toute cette farce, on a beau chercher, il est difficile de comprendre où Kevin Smith veut en venir. Trop complaisant envers la religion pour vraiment être considéré comme indécent, trop insolent pour nous la montrer en toute bienveillance, le discours du réalisateur ne communique rien de bien précis. On peut parfois apercevoir dans Dogma de vagues propos anticapitalistes : au cours d’une scène où des hommes d’affaires crapuleux se font abattre par deux anges, ou lorsque Dieu se ramène sous l’allure de la chanteuse pop la plus vendeuse du moment… Mais le message n’est pas approfondi. Il s’arrête à deux ou trois images, vaguement symboliques, reflétant peut-être la plus grande des faiblesses du réalisateur : amuser sans cesse la galerie afin d’éviter la moindre prise de position.