Vous avez adoré Bande de filles, ses cailleras pomponnées, son Bagnolet annexé par la rue Francoeur ? Vous rêviez de la version #nofilter, garantie 100% bitume et odeur de brûlé dans la cage d’escalier ? C’était ce que promettaient le storytelling cannois et la réalisatrice elle-même, déclarant avoir filmé « la rue comme elle l’a connue » (Houda Benyamina a grandi dans une cité de Viry-Châtillon). Mais Divines coche en vérité les mêmes cases que n’importe quelle fable petite-bourgeoise encanaillée dans le 9-3, en n’oubliant pas cette piteuse féérie banlieusarde commune à plusieurs films-aventuriers (de Bird People à Bande de Filles) ayant récemment battu le pavé de la grande couronne parisienne. 

Puisé dans le film de gangsters, le postulat avait pourtant de quoi intriguer : l’héroïne est moins une Causette du ghetto qu’une graine de Tony Montana à la tête pleine de rêves ultra-libéraux. La jeune Dounia est avide de « money money money » (c’est son motto), d’iPhones 6 tombés du camion et de claques sur les fesses d’éphèbes à Phuket – bref, rien qui la prédispose à militer pour la convergence des luttes. Mais sa formation criminelle ne passionne pas longtemps : Benyamina manque toutes les occasions d’extraire la sève épique du récit d’empowerment qui fait mine de démarrer. Une fois chaperonnée par une grande soeur magnétique ayant fait fortune grâce aux deals juteux, voilà la gamine parachutée comme par magie dans un monde où les obstacles  patriarcaux existent à peine, et où elle peut donc triompher des caïds du quartier sans trop se faire suer. Difficile donc de croire à l’héroïsme d’une amazone dont les adversaires sont d’emblée neutralisés par le récit (exception faite d’un client récalcitrant qui, en cours de route, lui rappelle durement les risques du métier).

Ce qui intéresse davantage Benyamina, c’est donc de touiller l’imagerie des cités, comme s’il fallait guérir celles-ci de leurs maux à grands renforts de rêveries lénifiantes. Telle une Pascale Ferran du ter-ter, elle ose donc les tableaux poétiques de la pire espèce  pour dire l’urgence de prendre la tangente. Ainsi ce plan-séquence malheureux voyant Dounia et sa meilleure copine s’imaginer en train de sillonner la Thaïlande en décapotable, avec force ornements lourdingues (travelling calamiteux et vrombissements urbains pour illustrer leur road-trip). Figuré de la sorte, l’horizon doré qui les appelle ne suscite aucun désir – mais peu importe, puisqu’ici, l’enjeu est d’observer benoitement les petites teignes bercées par leurs rêves d’excès consuméristes, surtout pas de les fantasmer avec elles. Brossant toujours les surfaces, jamais les mondes intérieurs, la mise en scène s’abandonne aussi à une fascination bidon pour les corps libérés dans un espace paradoxalement asphyxiant ; surtout ceux de Dounia et de son petit ami, danseur étoile à peine moins imbuvable qu’elle, s’abouchant au gré de ballets grossièrement éthérés dans les coulisses obscures, les impasses crados, les halls de centres commerciaux, et autres non-lieux banlieusards réenchantés avec un doigté très discutable. Cette épaisse poésie tirerait sans doute moins vers le grotesque si elle n’entrait en conflit avec la vitrine naturaliste aménagée en même temps par Benyamina, sans doute soucieuse de veiller aussi à sa street-cred’. On y trouvera tous les attrape-nigauds typiques du filon : vérisme crapoteux, comédiens balbutiants, nervosité sous-kechichienne option « filmé-comme-sur-le-ring » (avec en prime un détour abrupt, en fin de parcours, vers les émeutes des dix dernières années). Mais il ne faut pas s’y tromper, puisque sous l’achalandage réaliste continue de croître un cancer bien plus ravageur pour le cinéma français : ce lyrisme extra-muros qu’on dirait sponsorisé par le Grand Paris, et apparemment convaincu d’avoir pour mission de redonner un peu de peps à l’imaginaire suburbain. Pitié, qu’il ne se dérange pas.