Dias de gracia démarre comme un docu-drama putassier sur la violence ordinaire de Mexico, une sorte d’épisode de Cops version guacamole, entre enquête embedded et pompiérisme sous-hollywoodien – caméra subjective, travellings compensés, floutages baveux. Le script-concept n’a rien pour rassurer, avec ses trois coupes du monde emboîtées (2002, 2006, 2010) dans un montage filandreux au possible. La coupe du monde, ce serait la faille spatio-temporelle durant laquelle s’illumine, au Mexique, la fusion entre bien et mal : flic, forban ou les deux à la fois, peu importe, tout le monde mate le foot. Trois intrigues de polar s’entrelacent donc, sur fond de babillages footeux entre compadres patibulaires et tatoués. Bonne idée, que la mise en scène ogresque menace longtemps d’étouffer dans un burrito choral surchargé d’effets, spécialité bien connue du compatriote Inàrritu.

Le film semble donc épouser les travers du pire cinéma mexicain, tout en s’inscrivant maladroitement dans la lignée des polars latinos mâtinés de naturalisme (le très réussi Sin nombre). A moins de s’étrangler avant la fin, on s’apercevra toutefois que son ambition est ailleurs. Où aller une fois que la fable-capharnaüm a pondu sa sentence (tout est dans la voix-off en exergue, plus que douteuse : « Vivre au Mexique, c’est jouer sa vie chaque jour. Parfois tu survis pour la raconter, parfois non ») ? Everardo Gout, en fait, dévie subtilement pour faire de son style patapouf le cœur du sujet. Puisque Mexico est une jungle où loi, ordre et morale sont à géométrie variable, tout jugement est impossible : le découpage orgiaque se justifie alors, appliqué à court-circuiter toute possibilité d’identification, d’empathie, de positionnement. Tout va trop vite, tout est trop fardé pour que l’enjeu vie/mort puisse même exister : les corps en sueur sont déjà des cadavres, et les cadavres sont aussi beaux et luisants que des héros d’action en pleine santé. On se fout de savoir qui doit partir ou rester : la mise en scène dopée agit comme un piège, un puits de sables mouvants qui happe les attentes rituelles, l’implication éthique mise habituellement dans un thriller à l’hémoglobine.

Dans l’un des trois récits, un notable est kidnappé par un gang, monnaie courante dans le coin. Il passera tout le film les yeux bandés, à tenter d’amadouer un geôlier plus jeune et influençable. Le traquenard tendu à ce notable, Gout nous le tend aussi : sa cécité sera la nôtre, on ne distingue jamais le bourreau fini de l’âme récupérable. Voilà qui semble encore bien glissant, mais c’est pourtant dans cet aveuglement que se loge l’angoisse : le jugement de spectateur le plus primaire est ici atrophié, et bien plus que de risquer de voir un gosse abattu, c’est ce tâtonnement qui est à la limite du soutenable dans Dias de gracia. Au-delà du laid et de l’esbroufe se tapit un pari assez audacieux, à savoir refuser en bloc la sociologie, les conclusions, les noyer dans les apparats criards, comme pour avouer que l’anarchie de Mexico est tout bonnement impossible à portraiturer.