De vrais mensonges : difficile de faire plus programmatique que ce titre-là, dont l’oxymore est la synthèse idéale à la fois de la fine mécanique du film, et de la morale de tout le cinéma de Salvadori. Il annonce surtout, d’emblée, qu’une direction se précise, dont les prémisses se faisaient sentir dans Après vous puis Hors de prix. De film en film, Salvadori creuse dans l’embarrassant paysage de la comédie française une voie de plus en plus théorique et sophistiquée, dont la source (Lubitsch, ce n’est pas vraiment un scoop) rejaillit désormais sans le moindre complexe. Après Hors de prix qui reprisait l’imaginaire de Trouble in paradise, De vrais mensonges semble trouver son argument du côté de The Shop around the corner – soit cette équation : petit commerce + lettres anonymes = jeu de dupes, faux-semblants, et vérité de l’amour trouvée sur les chemins tortueux du mensonge. Dans un salon de beauté provençal, un employé timide et délicat (Bouajlia) adresse sans la signer une lettre d’amour à sa patronne revêche (Tautou), laquelle y puise peu d’émotion mais cette idée tordue : faire suivre le courrier à sa propre mère, dans l’espoir de tirer celle-ci des eaux noires où l’a plongé, de longues années plus tôt, son divorce. Le stratagème évidemment fonctionne trop bien, précipitant tout ce petit monde dans un épuisant maillage de quiproquos, terrain favori de Salvadori qui s’en donne à coeur joie.

Plein comme un oeuf, le film révèle deux manques. D’abord ce qui manque, d’une manière générale, à la comédie française (en vrac : finesse, intelligence, point de vue). A cette aune, Salvadori mérite la Légion d’honneur. Solitaire (personne d’autre pour tracer ce sillon-là, venu d’un amour pour la comédie américaine classique) sans être autiste (le casting, la légèreté de surface, tout draine le film vers un horizon tout ce qu’il y a de plus populaire), son cinéma gagne de film en film, en même temps qu’une évidente virtuosité, une profondeur assez remarquable – il faut voir par exemple la densité que gagnent les personnages dans la dernière demi-heure, tandis que la perspective de la résolution, pourtant inévitable, semble s’évanouir pour de bon. Salvadori est un laborieux, au sens le plus noble : plusieurs scènes ici semblent reprises des précédents films (entre autre, un petit théâtre d’ombre chinoise revenu de Après vous), comme s’il avait décidé désormais de s’en tenir à deux-trois idées qu’il s’agirait de remettre sans relâche sur le métier jusqu’à trouver la finesse idéale.

L’autre manque est dans les films, et dans celui-ci peut-être plus que dans les autres. Quelque chose manque qui permettrait d’aimer sans réserve le cinéma de Salvadori. Ou plutôt : quelque chose résiste. Par exemple une forme de mauvais goût incurable, qui passe par l’image (plate, limite télévisuelle), par la musique surtout (toujours atroce, avec mention spéciale à la scie reggae abominable de Après vous). Ou encore : le spectre d’une franchouillardise qui plane toujours un peu et parfois semble relever d’une forme de volontarisme – comme si, voulant tirer Lubitsch vers l’Hexagone, Salvadori avait tiré un peu trop fort. Surtout, Salvadori se heurte cette fois à un vrai problème du côté du jeu, un peu raide (Bouajila) ou alors en surrégime complet (Tautou, plutôt bien dans Hors de prix et qui en fait ici des tonnes), comme si la virtuosité de l’écriture peinait, plus que d’habitude, à s’incarner. Poussant plus loin son cinéma sur la pente théorique qui depuis le début s’offrait à lui, il perd un peu de vie au passage. La suite dira si, arrivé à ce niveau de complexité, il a aussi trouvé une limite. Pour l’heure et en l’état, le film n’en reste pas moins, très nettement, sur le dessus du panier de la comédie de chez nous.