A l’image du dernier Jerry Schatzberg (The Day the ponies came back), Dark summer est une petite production indépendante valant moins pour son aspect auteurisant que pour sa touchante tonalité anachronique. Il y a dans ce genre d’histoire multi-revisitée (la cavale d’un étranger emmené par deux soeurs dézinguées sur les routes du Dakota) un côté cliché du pauvre, mais aussi un pouvoir de fascination chaque fois recommencé dont, curieusement, on ne se lasse pas. La raison de cette empathie est ambiguë : peut-être le manque pur et simple de moyens (une caméra, trois acteurs et quelques paysages isolés) mais aussi, et plus certainement, une sincérité prégnante à chaque plan.

La qualité majeure de Dark summer tient dans la simplicité des procédés employés par Marquette : à chaque fois, une réplique, un geste, une simple échappée de la caméra permettent de dégager le film de ses jalons scénaristiques attendus. A l’image du personnage incarné par Anglade, musicien paumé et propice à toute fuite en avant, Dark summer revisite les lieux communs du road-movie esthétisé seventies avec une sorte de candeur neutre, évitant la complaisance tout autant qu’un détachement froid et distancié. Si tout fonctionne ici, c’est moins grâce aux qualités très moyennes du film (réalisation, interprétation, scénario) qu’à sa façon de se présenter dès le départ comme « vaincu », un peu loser, sans autre ambition que de flotter un peu au-dessus, ou au-dessous, de ce qu’il tente de capter. Cette ambivalence nonchalante, ce désir de suivre une route toute tracée tout en s’en éloignant doucement, font la beauté tout en infra du film, dans un mélange de banalité tranquille et de sourde étrangeté toujours à même d’emporter l’ensemble là où on ne l’attend pas. Les deux bombes qui accompagnent Anglade, moins bimbos qu’il n’y apparaît, jouent un jeu un peu bifide : beaucoup de scènes aux limites du grotesque se révèlent finalement simulées. En ressort la vraie réussite de Dark summer : sa façon d’osciller entre caricature de cinéma indé un peu branché et vraie envie de plonger dans les abîmes du gouffre où se laisse entraîner le héros, dans un état de semi-transe éveillée.

Mais si tout fonctionne de façon presque inespérée pendant un temps, cette propension à la sobriété finit par révéler aussi la grande faiblesse du film : ne sachant trop où aller in fine, Dark summer se perd progressivement dans la neutralité, oubliant l’horreur attendue et espérée du début (atteindre un point-limite) en cours de route. Les révélations finales prennent des airs d’apocalypse de foire : retrouvailles familiales hystériques et finalement assez grotesques qui, malheureusement cette fois, ne se révéleront pas simulées mais assez grossièrement jouées. Rien néanmoins n’empêchera de croire en cette envie de cinéma presque invisible qui, en refusant presque de se montrer, fait de Dark summer un film finalement très émouvant.