À Paris, Antoine (Gustave Kervern) décide brusquement de mettre fin à sa carrière de musicien pour s’éviter le suicide, et accepte un emploi de gardien d’immeuble. Pour un dépressif comme lui, c’est la planque idéale : les journées s’égrènent au rythme de l’entretien de la cour et de l’immeuble, sur fond de relations de voisinage plus ou moins sympas. Antoine, peu à peu, devient malgré lui le confident des uns et des autres : le footballeur à la retraite toxico et voleur de vélo, le voisin psychorigide, le sans domicile polonais, et surtout Mathilde (Catherine Deneuve), jeune retraitée obsédée par une fissure fraîchement apparue sur le mur de son appartement, et qui va se lier d’amitié avec lui. Tout cela, inutile de le préciser, est très inquiétant sur le papier, et l’on s’étonne d’abord de voir Salvadori s’aventurer sur ce territoire, qui semble celui de la fable franchouillarde et enchantée à l’usage des Français déprimés. Balisée comme un panel de la sinistrose nationale, la cour d’immeuble réclamerait donc, selon la loi du genre, un finale en forme de guérison collective par la camaraderie loufoque et le repli sur l’entre-soi. Mais ce serait mal connaître Salvadori, scénariste et metteur en scène subtil, qui va prendre soin au contraire, et tout en jouant le jeu longtemps, de déjouer cet horizon réconciliateur.

Dans la cour est littéralement coupé en deux, entre les parties offertes à Deneuve et celles dédiées à Kervern. La partie Deneuve justifie un peu nos craintes initiales, avec cette métaphore de la fissure sur laquelle Salvadori a la main un peu lourde. Mathilde, inquiète, mobilise des spécialistes qui lui révèlent que l’immeuble a été construit sur un terrain peu fiable. Elle en déduit que le quartier est en sursis, et se laisse envahir par une obsession de plus en plus irrationnelle, entraînant quelques voisins de quartier dans sa conviction délirante. Vite assimilée, cette partie-là traîne un peu en longueur et Dans la cour gagne vraiment à s’en désintéresser pour se concentrer sur le personnage d’Antoine. Avec lui la narration se fait languissante, flasque, et même de plus en plus malaisante quand on commence à comprendre le vrai programme du film. Les scénarios de Salvadori naissent souvent d’une idée purement théorique, et c’est à la fois la force et l’étrangeté de son cinéma : les films glissent sur les rails de cette petite idée, de ce pur désir de fiction, et rien alors ne peut les en détourner.

Dans la cour n’échappe pas à la règle : il s’agit encore de mettre en marche une idée-programme. Mais cette idée arrive tardivement, un peu retardée par les soucis de Mathilde. Le programme en question est simple, et à y regarder de plus près, c’est exactement le même que celui des Apprentis, le premier film de Salvadori : il consiste à contrer l’optimisme systématiquement en jeu dans ce genre de comédie par une dose de pessimisme qui progresse insensiblement, tellement insensiblement qu’on ne se rend pas compte que le film est, en fait, en train de sombrer. Ce dessein scénaristique, ici, ne se révèle vraiment qu’en fin de parcours, quand les rebondissements de l’histoire de Mathilde laissent place à l’accalmie dépressive. Reste Antoine, gros nounours lymphatique qui emporte le récit vers son dénouement carverien (Carver dont on lit opportunément un poème) :  une sorte de surplace complètement atone et totalement désespéré. A l’image de cette cour circulaire, aucune progression n’est possible, aucune issue non plus, tout restera imperturbablement figé. On comprend alors que le film voulait jouer, assez cruellement, avec les attentes de spectateurs conditionnés par l’optimisme habituel de ce genre de récits, en mettant en place très consciencieusement une anti-comédie. Cet optimisme, le film finit par le lever pour révéler le vrai projet d’Antoine, qui est aussi le sien, laissant le spectateur avec le sentiment terrible et très beau qu’il y aura eu, en fait, plus de mal que de peur.