Les films de procès tracent parfois le même sillon, qui se pose en constat latent de la part ineffable des actes de justice, d’une difficulté à saisir par l’image le pouvoir de juger et d’appliquer la sacro-sainte Loi. Il arrive souvent que l’aveu de cette déconvenue (Raymond Depardon, avec Délits flagrants et 10e chambre, instants d’audience, en est sûrement le plus beau héraut) donne aux saisies documentaires leurs fulgurances. Le cinéma sur le Rwanda semble enfin émerger en cette fin d’année (deux fictions et un documentaire en moins de trois mois). Sans prétendre à une logique commune, une transversale émerge néanmoins, quel que soit le dispositif : proposer un regard en place d’une parole qui peine encore à s’extraire des gonds du traumatisme. Le documentaire de Christophe Gargot a la difficile mission de conjuguer ces deux amorces.

Le Tribunal Pénal International affairé au génocide rwandais se tient à Arusha (Tanzanie) depuis la fin des événements de 1994. Depuis 15 ans, la justice de l’ONU tente de demander réparation, au nom de la conscience universelle. 15 ans, soit des milliers d’heures de procès enregistrées, qui demeurent consultables par n’importe quel citoyen. Le documentaire de Gargot, initié en 2006, se nourrit de ces archives pour mieux les transcender. La démarche, doublée, revient à poser un regard sur ces comparutions de responsables politiques ou militaires, et les confronter à la réalité contemporaine du terrain. Aux images officielles des caméras de surveillance du TPI se succèdent d’autres témoignages, recueillis par le cinéaste. Gargot a choisi d’interroger aussi bien des rescapés des massacres que d’anciens soldats ou notables administratifs ayant participé, directement ou non, au génocide de la communauté tutsie. Alors que les plaidoiries des avocats et des procureurs invoquent théâtralement un devoir de mémoire, Gargot leur oppose la parole de témoins, coupables ou innocents, d’une réalité occultée par l’horreur des exactions ethniques. Le confinement des box où défilent les accusés appelle le hors champ des villages stigmatisés par la terreur passée, dont la seule trace à l’écran reste le poids quotidien du souvenir.

D’une sobriété exemplaire, le documentaire supplante les communiqués officiels d’une Justice, que l’on suppose aveugle mais qui semble engoncée, par son architecture même, sous une cloche de verre. Le film multiplie d’ailleurs les plans de ce tribunal vidé de toute présence. Ces séquences, apparemment anodines, sont d’une force assez saisissante, comme seule trace éthérée du passage de l’Histoire que seul le cinéma semble à même de capter. Plutôt que de questionner platement la notion de Justice universelle, Gargot contourne la gageure en sondant la Justice comme un objet filmique avant tout. Alors que les yeux de l’ONU sont officiellement ouverts depuis quinze ans, le documentaire de Gargot, comme un regard outsider, délesté d’un affect trop aveuglant, fouille les recoins de l’indicible, ceux que la politique mondialiste n’a pu (voulu ?) entrevoir jusque-là.