Jonathan Mostow est un peu le Vikash Dhorasoo d’Hollywood. Pétri de talent – c’est une certitude pour tout le monde depuis la série B sous-marine U-571 en 2000 –, le cinéaste n’a jamais explosé. Sa Coupe du monde à lui, c’était Terminator 3 : enfin un blockbuster, enfin l’occasion de tout casser et, au final, un drôle de film d’action vintage à la beauté romantique et désolée, mais qui semblait venir trop tard, comme étrangement déconnecté de tous les enjeux que l’action volatile des années 2000 a redéfini dans la foulée des Wachowski (Matrix, Speed racer). Il a fallu six ans pour que Mostow nous revienne : une éternité. Que vaut donc Clones, avec son Bruce Willis sérieusement amoché par les années, sa durée aberrante (1h25) et son scénario baudrillardien de série Z paranoïaque ? La réponse ne fait au fond que renforcer le mystère et l’ambiguïté des objectifs de ce petit maître pas comme les autres : prendre méthodiquement à revers tout ce qui semble travailler le cinéma de science-fiction contemporain. Et si le discret Mostow était le dernier des punks d’Hollywood ?

Les apparences sont trompeuses : sur le papier, Clones est un film de SF ultra-bright, une sorte de happening hi-tech qui n’est pas sans faire songer au récent Ultimate game par l’apparente illisibilité de son script, mix de clonerie cybernétique et de réalité virtuelle. Les humains peuvent désormais se payer le luxe de s’acheter des avatars bioniques (doubles parfaits ou versions embellies et boostées de leur enveloppe corporelle) qui effectuent des tâches à leur place pendant que ceux-ci restent pépères à la maison. Développé à grande échelle, le concept transforme le monde en un vaste musée Grévin animé dans lequel insécurité et violence ont baissé en flèche (évidemment, buter des clones ne fait de mal à personne). Mais des résistants, menés par une sorte de Tonton David du futur (Ving Rhames, hilarant en rasta hirsute pestant contre la World Company), menacent cette société sans saveur grâce à une arme capable de bousiller les humains qui se cachent (même très loin) derrière les clones. Un indice fait très peur dans Clones : la fameuse arme ressemble à un gros séchoir à cheveux acheté chez Darty, et tout le film semble se contenter du minimum technologique en lieu et place du tape-à-l’oeil bling-bling attendu. Que Mostow laisse l’artillerie nouveau riche à Ultimate game pose-t-il vraiment un problème ? Oui, si l’on considère l’esthétique assez cheap du film qui en découle (des images qui semblent vilainement retapées sur Photoshop, avec ce côté make-up flouté des visages et des peaux en général) au seul nom du design et de la stylisation. Sur ce point, le film flirte avec le ridicule lors de certaines scènes (chaque apparition de Ving Rhames, censé représenté une menace de dimension mondiale alors qu’il ressemble à un musicien de Sinsemilia). Mais souvenons-nous du récent District 9, voire du personnage de Christophe Lambert, trafiquant d’armes en camionnette pourrie dans le futur de Southland tales : cet art du bricolage-là peut aussi être vu comme un prétexte à basculer sans prévenir dans la fable. Sur ce point, Clones rejoint sans aucun doute l’esprit onirique et la légèreté – cette manière de rêver avec quelques bouts de ficelle – qui travaillent les films de Blomkamp et Kelly.

A lui-seul, le cas Bruce Willis résume assez bien la situation : en voie de has-beenisation terminale, l’acteur, qui incarne un détective fleurant avant tout le monde la menace mondiale qui se profile contre l’humanité, retrouve ici une sorte de jeunesse artificielle via son avatar : un Bruce en djeunz à moumoute peroxydée qui n’est pas sans évoquer le Brad Pitt de synthèse rajeuni à l’occasion de Benjamin Button. L’effet est assez horrifiant – bien que saisissant et drôle –, mais c’est là encore une fausse-piste : Mostow n’aime rien tant que le muscle, le sang et la sueur ; il expédie rapidement cet avatar très bobo gay friendly au nom de la virilité du genre. Son double rapidement détruit, Willis revient tel qu’en lui-même, plus ridé et plus vulnérable peut-être, mais bien déterminé à dézinguer du clone pour redonner à ce film aseptisé la saveur d’une bonne vieille bourrinade testostéronée. Tout l’enjeu du cinéma de Mostow est résumé via ce détail : il y a chez le réalisateur de Terminator 3 une telle fois dans le cinéma d’action à l’ancienne que tout ce que le scénario de Clones contient de pseudo-modernisme valse rapidement hors-cadre, laissant place à une traque à la simplicité confondante. Lancé, le film fait feu de tout bois dans la tradition asséchée de la série B : l’archaïsme de ses rouages libère une énergie par laquelle le maximum est tiré des idées les plus simples. Le jeu sur le double en revient à un déluge forain qui tient plus de l’effroi viscéral façon Body snatchers (la collègue de Willis possédée par le grand méchant du film, pure peur primale) que de la réflexion postmoderne. De la même façon, le film se laisse traverser de visions admirables – les yeux ensanglantés des gamers tués, les replicants débranchés s’arrêtant net dans leur élan – qui reposent toutes sur un art très classique de la transparence et de la littéralité. Mostow, indécrottable classique ? On pourrait dire plus encore : le refus absolu de se soumettre à l’apesanteur où flottent récits et personnages de l’action des années 2000 devient presque, ici, un programme poétique. Le geste n’a rien de réactionnaire, il s’agit plutôt pour Mostow de perpétuer un esprit romantique à la Carpenter, peut-être la seule référence vraiment évidente en ce qui concerne Clones. Et s’il se frotte à l’ingratitude de la série B tendance hirsute avec un bel esprit résigné, le cinéaste n’hésite pas à terminer son film sur l’une des plus folles séquences d’apocalypse jamais imaginées : des milliers d’avatars s’effondrent en même temps dans les rues de la cité, comme s’il étaient victimes d’une pandémie foudroyante. Sous le désespoir apparent (attention fin de l’humanité), une euphorie anarchiste qui évoque bien sûr l’extinction des feux de la sublime chute de Los Angeles 2013. Les rois déchus de l’ère numérique n’ont décidément pas dit leur dernier mot.