Etrange comme la période est aux extrêmes : Spielberg vient probablement de réaliser son chef-d’oeuvre noir (La Guerre des mondes) après un authentique nanar humaniste (Le Terminal) pendant que Burton, après le magnifique Big fish, revient sans crier gare au niveau catastrophique d’un Sleepy Hollow. Les premières images révulsives collées sur les bus valaient comme avertissement mais c’est un coup dur, d’autant que Charlie et la chocolaterie ne rompt pas avec les pistes de son précédent film mais les porte à une sorte d’incandescence vomitive : plaisir du récit oral, délirants enchevêtrements narratifs, goût pour un univers de carton pâte baroque et psychédélique. La différence, ici, tient à l’absence de cette finesse latine et cette mélancolie décadente qui irriguait l’univers de Big fish. Comme Sleepy Hollow, qui épousait l’académisme sec des productions Hammer (pas un gramme de l’outrance et du trouble gothique des classiques italiens de la même période), Charlie se rêve en pur produit anglo-saxon : coupant, ironique, truculent. Echec total : le film a un affreux goût de bonbon anglais et prend la forme d’un gros boudin acidulé.

Le ver était de toute façon dans la pomme dès l’origine du projet, tant le roman de Roald Dahl, avec sa morale douteuse et réactionnaire sur l’éducation, le consumérisme et la modernité, sa panelisation de l’enfance et son vieux fonds colonialiste (l’horreur des Oompah Loompah importés d’un pays exotique ) relève d’une imagerie incroyablement vieillotte et délétère. Burton n’en fait absolument rien, tout au plus en ramène-t-il quelques visions à la naïveté hallucinée, telle la belle séquence de la cascade de chocolat fondu au début de la visite. Le reste est d’une laideur assez écoeurante et d’un académisme total (les affreux flash-back en tourbillon numérique). Pour se faire une idée du résultat, imaginer ce que donnerait un Spy kids transformé une boule de pâte multicolore trempée dans une sauce aigre-douce du pire effet : un coup de familialisme neuneu, un autre de cruauté à peine assumée (le destin des enfants mal élevés). Le tout se met au service d’un conformisme nauséeux (le gentil petit bonhomme tout pâlot qui fait office de héros Benetton : pas un mot pendant deux-tiers du film, figure lisse et gelée de l’enfance modèle). Jamais Burton n’avait atteint un tel fond de médiocrité, l’artifice, son royaume, se transformant en tombeau et décorum d’un film sans imaginaire.

De cette croûte fluo à la poésie « bonbons Werther’s Original » (la grotesque séquence nostalgie en compagnie des aïeuls, au début), personne ne réchappe, pas même Johnny Depp, réduit à l’état de pur gadget. Sa performance vaine d’automate vient s’ajouter aux multiples produits dégénérés dans lesquels excelle son goût pour une clownerie laborieuse et délavée, clean et asexuée, sans la moindre capacité de trouble -gageons néanmoins qu’un grand cinéaste saura un jour en extraire la matière d’un décadentisme terminal. Ce n’est pas pour aujourd’hui, tant ce Charlie et la chocolaterie demeure stérile jusque dans ses plus médiocres outrances : ici une tentative de comédie musicale queer et pétasse (la chanson sur les déchets qui fouettent), là un renvoi éphémère au conte noir et cauchemardesque (l’obèse rejeton allemand renvoyé à sa malédiction de tube digestif ambulant, la gamine trop gâtée réduite à l’état de noisette pourrie). Big fish était une sorte de fruit trop mûr, prêt à éclater, assez bouleversant d’humanité. Il n’en reste ici que la carcasse desséchée : un produit bâclé, infect, pas comestible pour un sou. Poubelle.