Townships + Bizet, Carmen africaine : telles équations semblent livrer par leur simple énonciation la formule d’un succès qui requiert la trouble et double politesse appelée par les pièces d’art et l’exotisme. Carmen a remporté l’Ours d’or à Berlin. C’était couru d’avance, parfait film consensuel propre à réconcilier n’importe quel jury, fût-il déchiré lorsqu’on lui présentait, dans la même compétition, un total chef-d’oeuvre (avec des Indiens, Wagner et les sourcils mouvants de Colin Farrell). Cinéma de festival, Carmen ? Oui, davantage que festival de cinéma puisque ici le cinéma s’ajoute plus qu’il ne génère, se plaque ou se planque, travaille comme il peut, abandonné. En soi le projet, malgré la grossièreté de son énoncé (monter un opéra dans des bidonvilles sud-africain, avec chanteurs, chanteuses et orchestre locaux, et tous dialogues en Xhosa, langue locale), tient la route, au moins au sens où il possède une cohérence et va jusqu’à son terme sans grosses entourloupes.

Ça marche, donc, ou plutôt que ça devrait ou aurait pu marcher si tant est que la mise en scène (de cinéma) y avait eu son mot à dire. Disons plutôt que c’est un travail de pro. Interprètes au niveau, orchestre pareil, on laissera le soin aux critiques d’art lyrique le soin de les évaluer précisément mais en tout cas rien ne jure, c’est une performance présentable. Il n’empêche que cela ne fait pas au bout du compte un film convaincant, sans doute parce que le réalisateur, théâtreux british pur jus passé par la Royal Shakespeare Company, s’est dit ceci : quand on sait faire de la mise en scène, on sait faire de la mise en scène de cinéma. Si Shakespeare ou Bizet ne t’effraient pas, alors n’aie pas peur de la pellicule, des machines, elles bougent et sont à ta merci. Of course not, Mark Dornford-May. Te fait défaut le talent bien spécifique de la mise en scène de cinéma, qui ne se parodie pas de quelques mouvements de caméra, comme des roulements d’yeux. Carmen tout entier est rythmé par des mouvements d’appareils aussi gratuits qu’insistants, aussi vides qu’ils bouchent l’espace et laissent le film ballotter entre effort de cinéma et captation d’un spectacle vivant. Visiblement le réalisateur ne sait pas quoi faire de ses caméras, et les fait tourner, au double sens d’enregistrer et de se balader sur le plateau, comme si elles étaient en salle d’attente. C’est ennuyeux, au double sens encore de fâcheux (manuel : le cinéma pour les nuls) et de chiantissime.