À la fin de First Avenger, le Capitaine Amérique s’échappait à toutes jambes d’un décor vintage, et découvrait effaré les chatoiements du Times Square contemporain. Au début du Soldat de l’hiver, il court toujours, mais à travers Washington DC, résigné à servir désormais une Amérique qui lui reste étrangère. Décongelé dans notre présent grisou, moins bipolarisé et plus cryptique, tout lui reste à découvrir : la soul de Marvin Gaye, le concept de fin de l’Histoire, et surtout l’intolérable idée que le Mal puisse venir de l’intérieur. Voire même, du poumon de la sécurité nationale  – le fameux S.H.I.E.L.D., menacé par les nazis next-gen de l’HYDRA.

Encore un tour malin de la part de Marvel, qui dans le premier film réhabilitait déjà le Captain en troquant son nationalisme au parfum de propagande contre une américanité candide d’average Joe. Avant d’être ce patriote boxant Hitler sur la couverture du comics, Steve Rogers y était un honnête homme, jouant moins du bourre-pif que du bouclier protecteur. Mieux vaut la défense que l’attaque, en somme : c’était aussi la philosophie des Avengers. La réactualisation se poursuit dans ce sens avec Le Soldat de l’hiver, et va même au-delà. Ironiquement, le meneur d’une nation devient ce suiveur désespéré, courant donc à toute berzingue dans New-York ou Washington pour rattraper le train en marche. Mais, même dans ce costume peu avantageux, le Capitaine reste en phase avec les peurs de l’Amérique. Dépassé par sa propre force de frappe, et encore terrifié par l’idée que ses gardiens l’ont conduit à sa perte, le pays est gangréné par les faux-semblants et les ennemis chimériques, pilotés par un traître à la cause (génial Robert Redford, rabougri comme un vieux trognon de pomme).

C’est là toute la beauté du vengeur : son idéologie fait peau neuve, sans qu’il cesse pour autant d’incarner sa patrie égarée. Amerloque lambda mais de bonne volonté, Rogers endosse logiquement le costume du nerd moyen (casquette et verres épais) pour percer le brouillard complotiste. C’est dans cet art de garder profil bas que Le Soldat de l’hiver trouve son audace, quitte à briller davantage dans les improbables scènes à l’Apple Store où Rogers enquête en civil, que dans les véritables morceaux épiques, qui eux donnent parfois dans l’esbroufe peu lisible. Ainsi ces bras-de-fer légèrement dévitalisés entre Captain America et son adversaire gothique, dont s’échappe tout de même une petit vent de bromance subtilement laissée en suspens. Mais qu’importe, au fond, que les frères Russo soient moins bons pyrotechniciens que Joe Johnston : l’enjeu du film est concentré tout entier dans la force morale du Capitaine, resté droit dans ses bottes face à une époque transitive, indéchiffrable, où même sa jolie voisine s’avère être en réalité une espionne pugnace.