Capitaine Achab est un film si diffracté, si éclaté entre ses ambitions, ses réussites et ses échecs, entre les mouvements qui le composent, qu’il est difficile de l’embrasser d’un seul geste. C’est, à tous points de vue, un film à problèmes. Il faut d’abord en saluer le beau pari. Pari ambitieux, où se sent à chaque instant une indéniable envie de grand cinéma, un profond désir de se frotter à la possibilité du grand film. De cela, un très beau moyen-métrage également intitulé Capitaine Achab, en avait donné un avant-goût plus que prometteur. Au sortir du long, on ne peut que constater à regrets que la version courte était, au fond, plus réussie.

Philippe Ramos a rêvé Moby-Dick, et s’est emparé de la figure monstrueuse d’Achab au courage, lui imaginant une enfance, un destin, et même une mort, différente de celle inventée par Melville. Un beau principe de narration découpe le film en cinq chapitres, où se relaient cinq narrateurs. Jusqu’à l’apparition d’Achab adulte au quatrième chapitre, c’est un roman d’initiation, baignant dans l’imaginaire de Mark Twain, avant que le film ne subisse un brutal appel du large (de Melville). Les épisodes de l’enfance d’Achab sont souvent laborieux, d’acteurs à la peine (Jean-François Stévenin, pas du tout dans le coup) en stratagèmes de mise en scène poussifs. On quitte Achab enfant rebelle pour le retrouver capitaine amputé, et on n’a l’impression que ce n’est plus le même film, que le hiatus n’a pas été comblé, que l’imaginaire marin et mythique n’a pas sédimenté, non plus qu’il a été appelé par les premiers chapitres. D’initiation, il n’y a pas eu.

La suite est plus solide, mais fonctionne une scène sur deux. Surtout, le cinéaste vise un lyrisme, ou du moins un souffle épique, qui peine à émerger. Le film ne décolle jamais vraiment, c’est une mer calme. Impossible pourtant de taire l’envie certaine de suivre Capitaine Achab là où il veut nous emmener, vers un romanesque ample où la mélancolie des images en médaillon répond à un sentiment de la nature que le cinéaste entend faire résonner par des tentatives de cadres souvent trop volontaristes. Il nous emmène surtout vers une image (Achab debout sur une mer illuminée par le blanc cachalot) grande, mais qui n’a pas su féconder la totalité du film. La tentative et la tentation étaient belles, le voyage est un peu décevant, c’est dommage. Il faudrait pourtant que l’invitation ne reste pas lettre morte, car Philippe Ramos s’est essayé à une tâche ardue qui, si elle n’est pas absolument menée à bien, ouvre une fenêtre, casse un carreau, fait entrer l’air frais, le grand vent. C’est un élan dont le cinéma français, dont on stigmatise souvent la frilosité, gagnerait à s’inspirer.