Un contrat sadomaso

Trois fois le même genre de scène depuis le début du festival (chez Dumont, chez Dolan, chez Verhoeven): une table, un repas, et tout autour une brochette d’acteurs français bankables, façon banquet de stars nationales. Plus particulièrement, Ma Loute et Elle se seront fait les commentateurs géniaux du cinéma français, de ses acteurs bichonnés et de ses moeurs bourgeoises. On aurait pu ajouter Dolan à la liste si celui-ci décrochait du narcissisme infantile qui l’amène à filmer ses acteurs comme on jouerait avec des jouets flambants neufs, là où Dumont et Verhoeven opèrent par un détraquage permanent. Le cinéaste hollandais y fait subir à Isabelle Huppert et à la ribambelle d’acteurs français qui l’entoure (Laurent Lafitte, Virginie Efira, Vimala Pons, Anne Consigny) le même traitement que Dumont à Binoche et Luchini, consistant à leur faire signer un contrat sadomasochiste loin du confort princier dans lequel ils ont l’habitude d’évoluer, et de faire jaillir d’eux une sorte de folie réflexive. D’un bout à l’autre de la compétition, deux jumeaux secrets, deux films déviants, deux véritables laboratoires d’expérimentation pour le cinéma français, qui dessinent chacun à leur manière une piste pour le sortir de sa torpeur en l’acheminant vers une sorte d’agonie farcesque accélérée, très aldrichienne dans l’esprit. Soit une violence verhoevienne qui, comme à son habitude, s’infiltre à tous les niveaux du film, et assène des coups de butoir permanents à son actrice géniale qui n’en finit pas de se relever, autant sorcière que victime consentante. On reparle très bientôt de ce film génial: il sort mercredi prochain.
MJ

Un espoir inespéré

En refermant sa compétition sur Elle de Paul Verhoeven, le festival semble avoir voulu mettre tout le monde d’accord. Et on ne lui en voudra pas : il faut dire que la dernière salve de projections fut aussi forte en sensations que pauvre en bons films – ceux de Dolan et Refn: propositions intrigantes mais films déchiquetés par l’ambition indéchiffrable de leurs auteurs. C’est tout l’inverse pour Elle, qui fait exploser ses contours de petit polar grinçant et récréatif par la maestria hallucinante du duo Verhoeven-Huppert. Si l’on n’avait aucun doute sur la capacité du Hollandais à marquer de son empreinte les terres pas toujours fertiles du cinéma français, on ne pouvait imaginer qu’il en profiterait pour donner à Huppert ce qui est peut-être son plus grand rôle: la puissance calme et inaltérable de l’actrice atteint ici des sommets. Cette collaboration, si idéale que personne n’avait osé la fantasmer, s’emploie à pirater de l’intérieur une intrigue de roman de gare cousue de fil blanc, en plongeant chaque séquence dans le bain d’une démence noire et placide. Autant dire qu’on ne s’est pas fait prier pour dépenser nos dernières forces dans cette farce limpide, hilarante, et si insituable sur la carte de nos désirs qu’elle a su déplacer, avec Ma Loute de Bruno Dumont, à peu près tout notre horizon d’espérance vis-à-vis du cinéma français.
LB

Timing

Une scène géniale parmi d’autres, dans Elle. Huppert et Laurent Lafitte s’efforcent avec difficulté de fermer les volets d’une grande maison bourgeoise, sur quoi tape une tempête furieuse. La tempête secoue les corps, violemment, et bien sûr elle a, comme dans L’Homme tranquille de Ford, pour fonction de les rapprocher. Contre le vent, Huppert lutte comme on l’a vu déjà lutter, elle se démène, elle crie, et pourtant on sait bien que son corps sec et menu aura le dernier mot, parce qu’il est plus fort que tous les vents. Redisons cette banalité, que le film de Verhoeven offre de répéter avec une joie très intense: Isabelle Huppert est peut-être la plus grande actrice du monde, et la plupart de ses rôles récents le confirment avec un réel ahurissement. C’est une autre évidence de dire que Verhoeven a été (et reste, donc) un très grand cinéaste. Mais avec Huppert, quelque chose change dans son cinéma. Entre autres talents, Verhoeven a eu souvent celui de tirer des performances magistrales d’acteurs sans grandes qualités notoires, dont il savait régler le jeu au millimètre. Verhoeven est un génie du timing, et il faut justement un irréprochable sens du rythme pour être, comme il l’est, un maître de l’ironie. Or le jeu d’Huppert a lui-même gagné, au fil des années, un sens du tempo parfaitement sidérant, qui lui fait diriger de l’intérieur le moindre de ses films comme un authentique chef d’orchestre. Les éclats d’ironie géniale de Elle tiennent, pour l’essentiel, à une dialectique toute chabrolienne (qui fait dire qu’évidemment, Huppert était la seule option possible pour Verhoeven), consistant à mettre constamment en regard le vernis des apparences bourgeoises et la bouillie de pulsions dégénérées qui couve dessous. Verhoeven en tire une série de réels gags entièrement dessinés dans le jeu d’Huppert (simples regards, haussements de sourcils, répliques fatales), en un souci conjoint du timing qui fait du film le plus éblouissant exemple de synergie cinéaste/acteur aperçu depuis des lustres.
JM

Un petit patron

Confirmation avec cette deuxième sélection en compétition officielle pour Asghar Farhadi que le festival a clairement raté l’œuvre du cinéaste iranien. Bien moins crispé et maladroit que Le passé, son précédent film, Le Client laisse pourtant encore le sentiment d’un cinéma émulsionné sur les mêmes bases que ses œuvres les plus âpres (A propos d’Elly, Une séparation) mais au résultat totalement dévitalisé. Comme si le réalisateur poursuivait son œuvre sans plus de ressort personnel, usinant ses croisements entre drame intime et fatalité sociale en suivant un patron qu’il n’a jamais daigné redessiner. Le client est donc encore l’histoire d’un couple qui se déchire, tiraillé par un événement masqué, et dont chaque geste s’inscrit dans un vaste réseau de valeurs sociales. Deux éléments auguraient pourtant d’un léger déplacement de sa mécanique dramaturgique. D’abord en centrant son image manquante sur celle d’un viol commis dans l’espace domestique, Farhadi infiltre, pendant quelques scènes, son réalisme grisâtre d’un film de hantise. Mais très vite, l’obsession de la femme pour son agresseur deviendra celle de son mari,  repositionnant tout le film sur les rails de son petit questionnement éthique (jusqu’où aller dans la réparation ?). Ensuite, et c’est d’emblée le plus évident, en faisant de ses protagonistes des comédiens engagés pour jouer Mort d’un commis voyageur, le cinéaste semble jouer d’un systèmes d ‘échos entre le drame de son couple et la scène théâtrale, notamment sur la question de la honte et de l’humiliation. Sauf que le parallélisme ne produit pas grand chose d’autre qu’une petite astuce de mise en scène désignant le lieu d’un crime comme une scène de théâtre. C’est d’ailleurs tout le problème des films que réalise désormais Asghar Farhadi : fabriqués avec la langue tirée de l’écolier concentré sur son modèle, ils en livrent du coup toutes les petites astuces.
GO

…and justice for all

S’il y a bien une idée passionnante chez le Paul Schrader du tournant 70’s/80’s (celui de Blue Collar ou des scripts de Taxi Driver et Rolling Thunder, puis de Hardcore), c’est celle d’une justice proprement américaine, façonnée par la morale puritaine et les résidus de vigilantisme de l’Ouest. D’autant que Schrader entretenait volontiers une forme d’ambiguïté face à ces notions, révélant une schizophrénie qui était celle du pays et changeait les croisades de ses vengeurs en dégringolades dantesques. Et voilà qu’arrivé en pré-retraite, sans pour autant changer tout à fait de sujet, l’homme décide de virer sa cuti en rattrapant la jeunesse frondeuse qu’il n’a jamais eue (rappelons que Schrader vient d’une rigoureuse éducation calviniste, et qu’il a vu son premier film à 18 ans). Et de s’embarquer dans Dog Eat Dog, polar décousu, plus bourrin, moins duplice, où les manigances criminelles de vieux renards hâbleurs (Cage et Dafoe) mettent en évidence les fourberies inhérentes à l’Amérique, pendant que la télé vomit ses débats sur le Second amendement et que Cage lui-même débite en voix-off quelques sentences sur l’hypocrisie du concept de justice, laquelle ne serait au fond « que du verbiage ». Pourquoi pas se gausser un peu, en effet, après toutes ces années de noirceur (le réalisateur a lui-même insisté avec gourmandise, sur la scène du théâtre Croisette et après les longs discours de convenance : « ce soir, j’ai envie qu’on s’amuse »). Le problème, c’est qu’en plus de perdre beaucoup d’énergie et de salive dans les petites condamnations habituelles de sa patrie – hypocrisie, appât du gain, vulgarité consumériste, etc – Dog Eat Dog renonce totalement à la fascination/répulsion pour les héros malades qui faisait la puissance des premiers récits de Schrader, lequel s’imagine sans doute avoir fait enfin un film de jeune, alors qu’il n’a tourné qu’une gentille farce de vétéran néo-hollywoodien.
YS

Haute sécurité #9 : Rapport d’enquête

Avant de rendre Cannes aux Cannois et à son maire, l’éminent David Lisnard (LR), un bilan sécuritaire s’impose. Dans l’ensemble, ce 69ème festival nous aura permis de pointer les réussites mais aussi les défaillances des divers dispositifs installés sur la Croisette. Dans l’ensemble, on retient quelques innovations bienvenues, et un sérieux global dans l’observation des normes universelles de sécurisation, prouvant que la France sait encore rester souveraine dans quelques domaines bien définis. Ce qui n’empêche pas évidemment plusieurs réserves, nous laissant penser que le système demeure perfectible. Cela pose d’ailleurs une question cruciale : en quoi consisterait un plan vigipirate optimal sur la Croisette ? À dire vrai, qui s’intéresse aux idées originales en matière d’ordre public se souvient probablement qu’en ces lieux, la perfection sécuritaire a déjà été vue. C’était il y a deux ans tout juste: une défense idéale, décomplexée, garantie triomphante d’une harmonie totale le long de cette petite portion de la french riviera. Monsieur Lisnard : à bon entendeur, salut.

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Chronic’art recrute

On ne peut rien contre l’ADN Chronic’art: après la troisième victoire de Guillaume hier, c’est l’ancien directeur de cette rubrique, Vincent, qui réussit le triplé gagnant. Ici donc, les derniers résultats, et la Palme rêvée de chacun des candidats, en attendant le bilan demain

Tous les résultats ici :
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