Le succès mondial de Borat, leçons culturelles sur l’Amérique au profit glorieuse nation Kazakhstan (130 millions de dollars, rien qu’aux Etats-Unis) a coulé dans le béton la formule du tandem Sacha Baron Cohen/ Larry Charles (réalisateur des films) : Brüno est donc ni plus ni moins qu’un décalque de Borat. Le titre a considérablement maigri, une grande follasse érotomane a remplacé un arriéré des steppes, mais pour le reste, c’est exactement la même chose. Au niveau du récit : Brüno, présentateur vedette d’un show consacré à la mode sur une Gay TV autrichienne, part à la conquête des Etats-Unis où, affublé d’un assistant au physique ingrat, il croise une galerie d’énergumènes yankees – soit, à la virgule près, le pitch de Borat. Au niveau du concept : Sacha Baron Cohen va tâter le cul des ploucs comme au salon de l’agriculture, révélant leur bêtise par la confrontation directe avec l’objet hystérisé de leurs répulsions – on connaît la chanson.

De ce point de vue, nul ne peut contester à Sacha Baron Cohen le fait de faire mouche. Dans la peau d’une grande jument surexcitée avec un imparable accent tyrolo-teuton, le voici en vadrouille dans le ventre d’une Amérique caricaturée par le biais de ses ressortissants les moins ragoûtants, brochette de péquenots dopés au bushisme qu’il aide à suer leur homophobie : le voilà parmi des moustachus chasseurs en treillis, auprès de gay-converters issus de quelque club des amis de Jésus, dans la tourbe d’un public beuglant venu assister à un show de baston, tous prenant la suite de néo-nazis, d’évangélistes, de quarterbacks et autres étudiants testostéronés en plein spring-break apparus dans les sketchs commis par Brüno dans le show télé de SBC. Cette caricature vaut ce qu’elle vaut, c’est-à-dire à peu près rien. La méthode SBC est au fond la même que celle de Michael Moore, à cette différence fondamentale que l’un prétend tirer à son avantage une leçon politique de ces micro-trottoirs, quand l’autre se contente de barboter joyeusement dans la boue d’un spectacle au ras des pâquerettes, et assumé comme tel. Y compris quand SBC pousse le mauvais goût jusqu’à exporter sa méthode jusque sur le terrain miné du conflit israélo-palestinien : sa manière d’aller chatouiller un prétendu membre de la brigade des martyrs d’Al-Aqsa ou de faire participer à ses singeries, à leur corps défendant, des parlementaires israéliens et palestiniens, provoque la même gêne, stricto sensu, que les interviews manipulatrices de Michael Moore – la même, avec une bêtise cette fois complètement revendiquée.

SBC a bâtit son succès en descendant dans l’arène de la rue, pour se mêler à la foule et faire attester par elle l’énormité de ses clowneries. La limite évidente des films est justement là, dans ce brouillage entre réel et complicité qui paradoxalement en atténue la portée. Borat et Brüno, à l’évidence, ne sont que des gros sketchs télés bien bourrins, mais leur passage au cinéma révèle à la fois l’impact de leur concept autant que son inaboutissement. En effet, là où Brüno manque son coup c’est qu’il ne peut se passer de la grosse machine de la télé (ou du cinéma) en train de se faire. Dans la plupart des scènes censées se dérouler avec des « gens réels », on ne cesse de sentir l’attirail : les caméras par exemple, dont le nombre est trahi par un montage qui multiplie les angles et qui jette une suspicion sur la réalité de la situation. Larry Charles, réalisateur de la pochade, aurait dû se plier à la loi bazinienne du « montage interdit », comme pour un documentaire animalier (ne serait-ce que pour mieux saisir le « milieu » où s’effectue la rencontre ou le télescopage, comme dans cette scène où Brüno se balade Jérusalem parmi des Juifs orthodoxes à moitié à poil et en arborant des péotes glam). En allant se cogner contre l’ordinaire des foules, Sacha Baron Cohen n’a pas osé laisser de côté la machinerie du spectacle – ça n’est pas demain, hélas, qu’il parviendra à pousser le mauvais goût à son point extrême de raffinement : être lourd, et léger à la fois.