C’était cette année la dixième édition des Rencontres européennes du moyen métrage, qui s’est déroulée du 2 au 7 avril 2013. Chronic’art y était, a vu beaucoup de films, français surtout. Bilan.

 

A Brive, la compétition est européenne mais les regards, naturellement, convergent vers les films français. A cela deux raisons, en mettant de côté le niveau très faible des films étrangers vus cette année (dont le très anecdotique One Song de Catalina Molina, qui repart avec le Grand Prix Europe). D’abord, ce format un peu incertain du moyen métrage qui fait la spécificité du festival, et qui bénéficie chez nous d’un intérêt renouvelé, signalé par plusieurs récentes sorties en salles – Un Monde sans femmes de Guillaume Brac, Le Marin masqué de Sophie Letourneur, Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne, ou encore cette semaine le Orléans de Virgil Vernier. Surtout, l’idée bien ancrée que ce format plus long que court constitue de fait l’antichambre du passage au long métrage. Idée discutable, mais pas démentie par une poignée de premiers longs français assez attendus cette année : Justine Triet (dont la Bataille de Solférino, très réussi, sera présenté à l’ACID à Cannes et sortira en septembre), Guillaume Brac, Antonin Peretjatko (La Fille du 14 juillet, pas mal, en salles en juin et attendu à la Quinzaine, à Cannes), Yann Gonzalez, sont tous passés par Brive.

 

L’âge adulte, pas pour demain

Aussi, la tentation est grande de chercher dans ce panel national quelque chose comme une radiographie d’un « jeune cinéma français » dont le sort, depuis le spectre de la convention collective jusqu’à la dernière couverture des Cahiers du cinéma, est aujourd’hui abondamment discuté – nous allons y revenir nous-mêmes dans le prochain numéro de Chro (en kiosque à la mi-mai 2013). Dans ce bilan de santé, une poignée de questions, incontournables : qu’est-ce qui, aujourd’hui – cette année – travaille le jeune cinéma fraçnais ? En quoi consiste sa « jeunesse » ? Comment s’y prend-il – à condition qu’il se pose seulement la question – pour contourner quelques impasses désormais bien identifiées ? Premier constat, côté sujets : le jeune cinéma français n’en a décidément pas fini avec la Jeunesse. Elle occupe un film sur deux ; il s’agit toujours, sans répit, d’en faire le portrait. Filtrée ou non par la fiction, cette matière documentaire ne dit pas grand chose de neuf, ni sur le versant social-triste (L’Age adulte d’Eve Duchemin, sage et volontariste captation de la débrouille quotidienne d’une jeune strip-teaseuse qui s’accroche pour payer ses études – on songe, en beaucoup moins bien, aux films de Marie Dumora), ni sur celui plus éthéré du portrait générationnel (le gentil Do you Believe in Rapture, docu-fiction qui fait consciencieusement le tour de tous les fétiches du genre – musique, fêtes, skateboard et premiers émois, sous le ciel étoilé d’une candeur un peu embarrassante). Sur ce terrain, l’extrême simplicité de Toucher l’horizon, film Femis d’Emma Benestan dans un registre tout aussi balisé (jeunesse + intégration), tire modestement son épingle du jeu.

 

Mignardise

Que le Grand Prix France soit allé au Artémis, cœur d’artichaut d’Hubert Viel, n’est qu’à moitié une surprise. Surprise tout de même parce qu’il y avait, de part et d’autre de cette mignardise, de plus légitimes candidats à la récompense. Mais dans ce succès, il faut bien voir un symptôme, tant le film, tout en minauderies DIY, revendique une formule décidément en vogue – c’est un peu Le Marin masqué 2. C’est la même geste qui se met en scène, la même manière de n’invoquer la Nouvelle Vague que pour en ramener le mythe d’un imaginaire débridé et dilettante, mythe du geste libre, pauvre et léger, que doit signaler partout une inspiration débraillée, complètement fofolle – follement jeune, donc. Sans surprise, le film est tourné en 8mm, en noir et blanc, cultive le goût du coq à l’âne et, bien entendu, prend le chemin des vacances. Sur ces films (La Fille du 14 juillet d’Antonin Perjetjatko, qui sort le mois prochain, cas d’école lui aussi mais tout de même plus maîtrisé), la même ombre plane, celle de Rozier bien sûr, mais un Rozier soluble dans la connivence et le clin d’œil complice au spectateur, façon projection à la maison entre copains. C’est peu dire que dans Artemis ce geste est forcé, et globalement pénible, malgré deux-trois scènes amusantes et une actrice, Noémie Rosset, qui fait des merveilles dans ce registre de fantaisie fifille qui est la loi du genre.

 

Prendre le large

Comment s’y prendre, alors, pour échapper à ces carcans, vieux ou neufs ? En prenant le large, simplement, d’une manière ou d’une autre. Littéralement dans Those for Whom it’s Always Complicated, de Husson, tourné entre Los Angeles et la Vallée de la mort. Portrait de la jeunesse encore (quoique les jeunes, tout aussi velléitaires, soient ici trentenaires), mais délocalisé pour se glisser dans d’autres codes, pareillement convenus mais, au moins, non-français. Soit : le cinéma indépendant américain, qui est un genre en soi et se voit retrouvé ici entre road movie et tendance mumblecore. Résultat plaisant, pas exactement révolutionnaire mais Husson sait filmer l’essentiel : visages (tous beaux), paroles. Autre solution : prendre la tangente formelle, concasser expérimentalement le réel, le récit, l’image-même sous le pilon de la poésie. Avec Déjeuner chez Gertrude Stein, qui prolonge naturellement Mademoiselle Else, lui-même vu dans plusieurs festivals il y a deux ans, Isabelle Prim poursuit sur la voie du Fresnoy-film, dont on dira difficilement qu’il nous passionne. Le geste n’en est pas moins assuré, impressionnant parfois, très sûr plastiquement. La plastique, c’est fantastique : comme le précédent, le film (inspiré d’un roman d’Olivier Cadiot) excelle dans l’art du collage – plus que du montage, même si le patronage godardien se fait sentir, ici rehaussé d’une humeur lynchienne. Reste que, conçu avec des ciseaux, ce cinéma parfois lorgne dangereusement vers le carnet de style, et à la virtuosité de ses constants effets de coulissage manque, en toute logique, et au sens propre, un peu de profondeur. Le film néanmoins a un avantage décisif sur le précédent : la présence vaporeuse de Christophe, filmé chez lui, parmi ses breloques. Dernière solution pour prendre le large : ne pas abandonner le récit français mais lui faire prendre l’air, l’envoyer dans le décor pour s’en remettre, autant que possible, à la mise en scène. C’est la tentative de Retenir les ciels, de Laura et Clara Laperrousaz, qui plonge un récit de famille dans les décors monumentaux du plateau du Larzac. Décor de western, ciels imposants qui, un temps, retiennent efficacement le récit. Pas tant parce que le décor prime (le retour de la fiction dans la nature, c’est déjà une vieille histoire), que parce les sœurs Laperrousaz trouvent le moyen de le faire exister comme une sorte de théâtre mental, assez vertigineux (le grand angle de facture toute malickienne fait tourner le paysage comme un carrousel autour de l’histoire du couple, abandonné là comme sur un île), tout en crêtes spectrales et très anxiogènes. Dommage alors que le récit – les dialogues surtout -, fasse brutalement redescendre le film sur terre, laissant filer les ciels, retrouvant le sol lourd du scénario et de la psychologie.

 

Bernard Menez et Bernard Hinault

Dernière solution, la plus payante, ici en tout cas : abandonner les personnages au profit des figures,  creuser un style légué par l’histoire du cinéma. Maniérisme, donc, mais avant tout goût du style et de ses vertus thérapeutiques, puisqu’il s’agit toujours de faire la guerre au « réel », qui résiste tant qu’il peut (voir l’affreux Avant que de tout perdre, son gros sujet de société, son paysage d’hypermarché ramené des pires cauchemars naturalistes 90’s). D’abord, Je sens le beat qui monte en moi, de Yann Le Quellec, sorti cette année en salles et en catimini – on l’avait alors loupé, on le regrette. L’histoire d’une guide touristique victime d’une étrange malédiction : à la moindre note de musique (muzak des restaurants, mendiants approximativement péruviens), son corps est pris de convulsions, soumis à l’autorité imprévisible du démon de la danse. Dans le paysage déserté du burlesque français, le film, très drôle, impressionne, cherchant moins son inspiration au fond dans les trésors nationaux (Tati, Etaix) que du côté coloré des grands Tashlin / Lewis. Audacieux pari, relevé avec une précision métronomique (et confirmant Bozon en acteur burlesque très doué), et qui invite à suivre Le Quellec, dont le prochain court, starring Bernard Menez et Bernard Hinault, sera présenté cette année à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs.

 

Spectres

Ensuite : Pour la France, de Shanti Masud. La jeunesse, son portrait, on y revient, mais loin, très loin des litanies évoquées plus haut. Où ça ? Dans la nuit d’une tradition, multiple mais réunie autour de quelques codes. D’abord le portrait ne fait pas semblant d’être volé : le jeunesse pose, et quand elle parle elle déclame – ce cinéma-là veut, tout comme le réclame un des personnages, « de la fixité et des visages harmonieux ». Fixité et visages harmonieux, c’est surtout la formule qui traversait, déjà, les films courts de Shanti Masud, portraits en musiques, visages donnés au cadre, et inversement. Ensuite : pas de portrait de la jeunesse qui ne soit ici, avant tout, portrait de vampires, ou au moins de morts vivants – si cette jeunesse est légère, alors c’est la légèreté des spectres. La nuit est son milieu, et c’est un décor (vidé, théâtral) autant qu’une durée (au bout de la nuit, le couperet du petit jour, à la fois réveil et petite mort, filmée ici en bord de Seine parmi des touristes, dans une scène superbe). C’est surtout un ancrage plus solide que tous les décors sociologiques : la jeunesse ici, enfin, existe quelque part – un quelque part de cinéma, qui n’en est pas moins un vrai lieu. Ce romantisme, s’il n’est pas neuf (plus qu’Eustache, convoqué par beaucoup de festivaliers, le film évoque ce moment de l’orée des années 80 où Carax faisait Boy meets girl et Coppola Rusty James à une année d’écart), trouve ici à se réincarner avec un indéniable brio. C’était presque le plus beau film du festival. Presque : le plus beau, Orléans, de Virgil Vernier, fut déjà commenté ici au moment de son passage à Locarno et l’est à nouveau, cette semaine, alors qu’il sort en salles.

 

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