Quel remède pour l’académisme dans lequel le cinéma de Neil Jordan se love depuis un certain temps ? Peut-être une accentuation de ce baroque qui semble battre dans les profondeurs d’une oeuvre recluse en son petit confort depuis La Compagnie des loups. Breakfast on Pluto peut ainsi être vu comme le passage raté de cet embonpoint vers l’outrance et le vénéneux, horizons rêvés pour le cinéaste. Adaptation d’un best-seller de l’écrivain Patrick McCabe, le film suit le parcours d’un travesti lancé à la recherche de sa mère dans l’Irlande sanglante des années 1970. Seule réussite ici, la finesse du traitement de plusieurs personnages liés par un même élan de revendication identitaire.

Mais cette qualité est néanmoins bien trop officielle et attendue pour ne pas recouvrir le costume glamrock et déjanté dans lequel le film se fantasme à travers le personnage du travesti Patricia. La discrétion de Jordan peine à épouser les battements tranchants de la queer attitude, et le personnage demeure une surface bien lisse sur laquelle glissent les clichés (la mère de substitution testostéronée, le flic ordure qui cache un coeur d’or, etc). Palme du ratage aux séquences grotesques où des piafs discutent de la pluie et du beau temps, mais pas seulement : il y a dans le mouvement même du film, sa manière de s’en remettre à la balade Paris Texas style, une naïveté beaucoup trop artificielle pour émouvoir.

Incapable de se rendre à l’innocence et à la sauvagerie des affects appelées par son sujet, la mise en scène s’en remet à la pantomime exhibitionniste de Cillian Murphy, apprenti Johnny Depp plutôt patraque qui, après le calamiteux Red eye, rate une nouvelle fois le coche. Restent la maîtrise d’un cinéaste capable de rendre aérien, par la grâce d’un cadre ou d’un mouvement d’appareil, ce qui ailleurs tiendrait du gros bonbon anglais acidulé et indigeste. Ce qui le rapproche d’une certaine manière d’un film récent, le médiocre mais classieux Madame Henderson présente de Stephen Frears : art de petit alchimiste du milieu, capable de transformer le plomb non en or, mais en surface un peu aqueuse, à l’image de cette séquence où Patricia, entraînée par un groupe de motards caricaturaux, se laisse emporter dans une molle rêverie à la triste beauté.