Sur l’affiche du film, Blanche-Neige porte l’armure et a l’air de vouloir en découdre, bien loin de la créature de Disney qui préparait des tartes aux sept nains. Faire de Blanche-Neige une bad bad girl, troquer le conte original contre un monument de noirceur girly à la Millenium, telle était donc l’ambition principale, mais pas la seule, de Blanche-Neige et le chasseur. L’autre, elle aussi promise par l’affiche, se projette sur un horizon heroic fantasy nettement moins engageant. Il faut attendre un peu pour la voir se dessiner : la première partie s’en tient au programme principal, et elle est de loin la plus réussie. Rupert Sanders y manie un art de l’ellipse presque insolent. Si ces scènes sont réussies, c’est paradoxalement parce qu’elles restent fidèles au conte, à sa nature même, retrouvée selon une forme de schématisme et une logique de pure métonymie – images à peine posées, esquisses de gestes.

Et ce symbolisme qui frôle parfois l’abstraction est à l’origine des plus belles scènes du film, comme ce moment où Charlize Theron se plonge dans un bain de liquide blanc, un lait qui aurait la texture de la peinture acrylique. Ou un peu plus tôt quand, du bout de son ongle de métal, elle dévore le coeur d’un moineau – scène très courte là aussi, une poignée de secondes, une simple apparition. Et cette sorcière figure au fond le seul intérêt du film, traitée comme un pur réceptacle se remplissant de l’énergie de corps plus jeunes qu’elle. Cloîtrée dans son donjon, elle n’est rien d’autre qu’un potentiel d’images à exploiter, à modeler, vieillissant et rajeunissant d’une scène à l’autre, s’affaissant en une nuée de corbeaux pour mieux se recomposer ailleurs, usant d’une magie noire qui n’est que le prolongement de sa rage, mais également un prétexte pour se répandre, se transformer, camper toutes les figures possibles de la noirceur. D’ailleurs cette noirceur girly promise par le film est entièrement et uniquement de son côté – on pense par moments à Eva Green dans Dark shadows, en superbe poupée immortelle, autre dernier personnage de sorcière réussi.

Pour le reste, sitôt que Blanche-Neige / Kristen Stewart est devenue adulte et s’enfuit du château, le film perd à peu près tout son intérêt, s’embourbant dans une heroic fantasy molle du genou, et d’une laideur qui côtoie par endroits l’inspiration d’Arthur et les Minimoys. Dans la version Disney, la traversée par Blanche-neige de l’obscure forêt était un pur moment de terreur expressionniste. Ici Kristen Stewart (vraiment mauvaise) trébuche mollement contre des troncs d’arbre, l’air hébété. Ce long passage dans la forêt aurait pu être beau ou terrifiant, il a la fadeur d’un passage obligé totalement boudé par la mise en scène.

L’idée n’était pourtant pas mauvaise, d’essayer d’articuler les forces contraires dans deux imaginaires différents : l’heroic fantasy pour les gentils (les sept nains comme des hobbits à la retraite) et les plumes de corbeau pour la sorcière, épées et muscles contre magie noire. Mais entre les deux forces, les moments de frottement sont rares, préférés à des plages d’ennui dans une forêt où le troll se fait attendre. L’heroic fantasy fait alors figure d’imaginaire rapporté, jamais vraiment investi, c’est un point aveugle, jamais à la hauteur de l’univers élaboré pour la sorcière. Reste une assez belle scène de lutte finale entre l’armée de Blanche Neige et les soldats de la sorcière – principalement ces éclats de verre sombre qui s’agglomèrent pour former des soldats de bile noire frigorifiée, se fracassant en mille morceaux sous les coups d’épées. Blanche-Neige et le chasseur récupère ici, en sa toute fin, ce qu’il avait perdu en chemin, l’épure abstraite qui aurait dû le guider, le film qu’il aurait pu, qu’il aurait dû être : une pure affaire de mise en scène, de bile noire et de crêpage de chignons.