Au revoir examine patiemment la solitude d’une femme. Depuis que son mari journaliste a fui vers le sud du pays, Noura est chaque jour plus isolée. Epiée, perquisitionnée par des hommes de main du régime, sa licence d’avocate même lui a été retirée, lui laissant tout loisir de scruter les murs ternes de son appartement. Enceinte, désoeuvrée, elle décide de s’offrir les services d’un avocat capable de contourner l’administration, pour obtenir un visa vers l’Europe, dans le but clandestin d’y rester. Rasoulof filme ces négociations bureaucratiques en plans fixes et au ras des choses (souvent le point est fait sur les paperasses, sur le vernis à ongles). Les corps – celui de Noura en particulier – se meuvent comme les égaux des objets qu’ils manipulent. Et c’est la figure principale du film : la présence de Nora dans le plan, bien que permanente, paraît contingente, toujours un peu décadrée. Ce flottement participe de l’impuissance du personnage, de l’indifférence qui l’entoure et affirme la prééminence du cadre, de la structure, même arbitraire. Au revoir mérite son Prix de la mise en scène en compétition d’un Certain Regard 2011, une récompense que certains officiels iraniens ont préféré voir comme un positionnement politique du festival.
Même si le film est parcouru de quelques métaphores sans doute dispensables, un peu appuyées, comme celle de la tortue tentant d’échapper à son bac, ou d’un habillage sonore manquant parfois de finesse, ses qualités de composition en font une œuvre d’importance. Transpercée d’une lumière glacée, la logique spatiale (dans l’appartement notamment) se dessine lentement, à mesure que le situation de Noura s’éclaircit, laissant une belle image mentale recomposée. La construction par petites touches répond aux conditions de tournage. Au revoir fut presque volé, dans les rues de Téhéran, en jonglant avec les interdictions, dans le laps de temps qui séparait le réalisateur de son procès en appel. Une dernière chance, comme pour Jafar Panahi, qui laisse peu d’espoir à ses proches.
Mohammad Rasoulof n’est pas militant frénétique, ni activiste idéologue. Ses films tentent d’écrire la réalité, attitude qui lui vaut d’être privé de liberté dans son pays, l’Iran. Ce n’est pourtant pas faute d’éviter le discours politique, en tant que tel : le régime censeur se trouve d’autant plus accablé que les films de Rasoulof se bornent à retranscrire strictement des phénomènes connus de tous. Son opinion de citoyen n’est jamais ostentatoire. La simple représentation à l’écran de faits sociaux que l’on préfèrerait taire suffit à son incarcération. Journalistes pourchassés, circuits parallèles à la société, qu’ils soient médicaux ou légaux, exodes organisés en douce, avortements sous le manteau sont autant de couleurs locales que le régime totalitaire perse ne saurait voir.
Arrêté en même temps que son cher ami Panahi, Mohammad Rasoulof a connu les mêmes geôles, les mêmes assignations à territoire, les mêmes interdictions diverses que lui, y compris celle d’exercer son métier de cinéaste durant vingt ans. Jusqu’ici moins célébrée que celle de son aîné par les festivals internationaux, sa carrière plus brève explique la piètre médiatisation de sa moribonde condition. Un délit de curriculum vitae qui le prive des élans de soutien saisonniers mais surtout d’une attention à des films qui valent clairement que l’on s’y attarde.