Coincé entre les sorties de deux divertissements high class (Le Pont des Espions de Steven Spielberg, Le Réveil de la Force de J.J. Abrams), le péplum marin de Ron Howard risque de peiner à trouver son public. Il faut dire que l’ancien Richie Cunningham de Happy Days s’est depuis longtemps résolu au rôle d’artisan sympathique et sans génie, capable des pires machines à cash (les inénarrables adaptations de Da Vinci Code et d’Anges et Démons) mais aussi de quelques réussites modestes (Frost/Nixon, Rush). Un peu ringard, très académique, le réalisateur a fini par devenir le dépositaire d’un bel anachronisme à Hollywood, sensible dans cette manière presque émouvante de tenir les rênes de ses récits comme dans les années quatre vingt, indifférent aux lois contemporaines de l’entertainment.

Chez Howard, on continue de lancer les histoires en s’asseyant sur une chaise, une plume à la main, autour d’une lampe à huile et d’un bon whisky déposé sur la table par Madame. Ici, Herman Melville est encore un jeune écrivain fébrile, dont les succès de librairie ne parviennent pas à tempérer l’angoisse profonde : il lui manque un chef d’œuvre. Il croit en trouver la trace au moment d’apprendre la tragédie de l’Essex, du nom d’un baleinier ayant fait naufrage en plein Pacifique après une confrontation avec un monstre marin. Assis près du dernier rescapé (et d’un whisky, donc), le jeune Melville écoute, prend des notes — et le film de glisser quelques dizaines d’années en arrière, où tout a commencé.

Là encore, il y a quelque chose de touchant à voir ce bon bougre d’Howard se confronter à un monument (Moby Dick) évidemment beaucoup trop gros pour lui, ajournant la noyade par une petite parade : ce ne sera pas le récit mythologique d’Achab, mais la true story d’Owen Chase (Chris Hemworth) et George Pollard (Benjamin Walker), deux capitaines que tout oppose et réunis sur le même bateau d’infortune. L’occasion, pour le réalisateur, d’engager son récit vers l’horizon d’un programme qu’il maîtrise mieux. Soit : l’histoire d’une rivalité entre deux mâles dépareillés qui, par la force d’un périple commun, vont devenir complices. Une complicité qui, comme dans Rush, se noue autour d’une succession de déconvenues et de péchés d’orgueil : chacun est à sa façon compromis par son hybris, n’offrant aucun apaisement à son avidité, au prix de tous les risques et sacrifices humains.

De quoi faire émerger par la bande les interrogations melvilliennes, même si l’on regrettera de voir le film commenter à voix haute chaque enjeu du roman au lieu de les régurgiter dans l’action. De ce point de vue, disons que le film n’a pas grand chose à faire valoir et montre vite ses limites. Si dans ses trente première minutes (et malgré un arrière-goût d’écrans verts et de CGI bradés), l’honnête artisan ne s’en sort pas trop mal (précisons : le film donne l’impression de se passer sur un bateau), on est moins convaincu par l’animation de son écosystème marin — et particulièrement par sa chimère, mauvais croisement entre le Godzilla de Roland Emmerich et le Bibendum de Ghostbusters.

Les carences budgétaires pourraient être en cause, mais on observe surtout qu’Howard n’entend strictement rien au fonctionnement d’une scène d’action, que tout le b.a.-ba du grand spectacle à artifices lui semble inconnu, comme une gamme dont il n’aurait jamais appris les accords. S’il manque de nerfs dans ses séquences de lutte avec les éléments et la faune maritime, Au cœur de l’océan manque surtout de colonne vertébrale : la prolifération et l’ampleur thématiques du sujet font rapidement perdre toute boussole à un récit qui, voulant tout dire, donnent la sensation de faire débarquer toutes ses péripéties au hasard.

Assez, néanmoins, pour permettre deux ou trois percées d’inspiration plastique et allégorique, élevées sur l’indigence de l’ensemble comme des herbes folles. Ainsi, par exemple, des cadavres de cachalots se transformant momentanément en grottes organiques, cavernes purulentes dans lesquelles il faut directement s’insérer pour y puiser l’huile, ancêtre du pétrole. La mise en scène trouve aussi une curiosité toute singulière, presque gratuite, à fureter dans les recoins de son univers, en rendant compte du caractère grouillant et gluant de la vie maritime, comme si le réalisateur de Splash puisait directement dans l’imaginaire du Léviathan de Lucien Castaing Taylor et Verena Paravel : mollusques, poissons, charpie, autant d’organismes gélatineux et amorphes que le montage égrène en contrepoint de son duel de colosses, en une litanie d’inserts incongrus anticipant le chemin de croix des personnages (la dernière partie est une sorte de déclinaison du Radeau de la méduse). Bref, la routine pépère et inoffensive du cinéma de Ron Howard : quelques trucs sympas, au milieu de rien du tout.

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