Non, Ségolène Royal n’est pas la seule à reprendre le porte-flambeau du féminisme glamour. A Hollywood, on peut en compter quelques-unes, encore majoritairement minoritaires, pas vraiment organisées, mais qui balancent quelques films pour la cause Girl power, sans jamais renoncer à ce qu’Alain Duhamel appelle leur grâce de ballerine. Karyn Kusama fait bien sûr partie de ces résistantes modernes, forte comme un homme et féminine jusqu’au bout des doigts. Quelques années avant Million dollar baby, Girlfight, portrait d’une jeune boxeuse, s’attachait à harmoniser le monde des femmes et celui des hommes, sculptant dans l’imposante musculature de Michelle Rodriguez une nouvelle forme de grâce virile. Aeon flux radicalise la trajectoire. On y trouve un défi formel similaire (après le vestiaire des garçons, vampiriser leurs bouquins de SF préférés) et surtout une glorification nietzschéenne de la surfemme. Charlize Theron y joue une super résistante d’un système concentrationnaire du XXVe siècle, pasionaria d’une organisation secrète où les femmes tiennent les rênes du pouvoir.

Seulement voila, sans vouloir passer pour des machos, on constate qu’Aeon flux s’est totalement rétamé au box-office américain, ce qui a conduit les studios a placardiser le film pour le reste du monde, limitant ses copies au maximum. Argument bassement comptable certes, mais qui dans ce cas explique beaucoup de choses. Notamment le positionnement du film, particulièrement bancal sinon roublard, un peu série B pour ados (mâles) un peu formaliste expérimentalo-politique, qui prouve que Karyn Kusama ne sait pas très bien faire du cinéma de contrebandier, ménageant trop la chèvre et le chou. Difficile donc de savoir à qui s’adresse le film, s’il faut apprécier le respect des règles ou au contraire se laisser guider par quelques traces de subversion. Le peuple adolescent ? Assez sexy (Charlize Theron tout de même) mais pas aussi violent et codifié qu’un Underworld par exemple. Les intellos et les militantes ? Trop complaisant envers les lois de l’entertainment et trop subliminal, voire simplet sur le fond.

Le film s’en trouve réduit à rester seul avec lui-même, mais ce délestage le rend incroyablement léger. Et si Kusama n’a pas toujours d’idées fortes, elle sait trouver une réelle musicalité dans le rythme et le défilement visuel, sacré sens de la fluidité qui permet d’aspirer toutes les lourdeurs de l’action. On pense à cette séquence foireuse où Charlize Théron franchit les lignes ennemies à coups de saltos arrière, déjouant une mitraille de plantes carnivores grotesques. Malgré la faible intensité dramatique, les invraisemblances surréalistes du scénario (mêmes touchées, les filles rebondissent de plus belle), la scène glisse, portée par le plaisir toujours vert de barboter dans un biotope numérique. Parfaitement lisse et aqueux, le film plane dans une luxuriance hippie, où art déco, cyberpunk et magasins bio (on mange beaucoup de fruits exotiques dans Aeon flux) co-existent dans une seule et même couche de l’image. Il faut voir la manière dont Kusama globalise l’espace en un rien de temps, le dilue ou le coule en un seul mouvement d’appareil. C’est en fin de compte sur l’édification d’une posture qu’elle s’en sort le mieux. Bien joli petit objet que ce Aeon flux, aussi mignon et stylé qu’un iPod.