Après le grand carrousel de Bancs publics (Versailles rive droite), qui semblait lancer le cinéma de Podalydès sur l’orbite incertaine de la caméra centrifuge, du gag à sauts de puce, Adieu Berthe marque une pause et s’interroge, fait le point. D’abord en renouant avec la simplicité de style des aventures d’Albert Jeanjean, avec le charme lunaire de la série versaillaise (dont il semble livrer ici la vraie suite, celle à laquelle tous les fans avaient rêvé à l’annonce de Bancs publics, qui devait la conclure). Ensuite en plongeant le héros podalydésien, nommé ici Armand et toujours génialement incarné par Denis, dans les affres de la cinquantaine, compliquant ses dilemmes coutumiers de questions plus larges, et plus graves : la mort, la perte, le sens de la vie. Pharmacien passionné par la magie, Armand ne parvient pas à se décider entre sa femme et son amante. Un beau jour, sa mémé Berthe, dont il savait très peu de choses, décède, et toutes sortes de questions surgissent : faut-il incinérer, enterrer ? Qui était Berthe ? Comment est-elle morte ?

« Pouf, pif, crac, pschitt », c’est comme ça qu’elle est morte Mémé, personne ne sait le dire autrement. Mémé qui meurt, c’est le grand gag du film, c’est une chose qui était là et qui n’est plus là, c’est insensé et c’est absurde, ça peut tomber sur n’importe qui. Ça semble dire que le non-sens (emblématisé, de film en film, par la glaviole, ce machin en fer dans lequel on trébuche sans jamais tomber – pas de chute à la blague) dissimule chez Podalydès une vraie philosophie d’angoisse. Un cercueil en forme de monolithe kubrickien, un écran de veille où défile le vide interstellaire et devant lequel Armand reste comme hypnotisé, sont les premiers signes discrets d’un malaise existentiel d’une ampleur inédite chez lui. Podalydès est un cinéaste pascalien, pas seulement tourmenté par le doute, mais aussi passionné des structures défaites, fragmentaires (voir dans chaque film ce goût du sketch, des chapitres clos), des écarts d’échelle (voir le court Minirama, les vues ras du plancher du Mystère de la chambre jaune, les objets aux tailles démesurées de Bancs publics, etc.).

Chez Podalydès, l’humour vient de ce qu’on réfléchit à petite échelle quand la chose à comprendre est énorme – on théorise toujours autour du vide. Ici, donc, autour de la mort : si Adieu Berthe tend parfois vers le pur mélo, mettant en scène une littéralité du deuil et du besoin de tendresse qu’il suscite tout à fait surprenante et bouleversante, le film déroule aussi un irrésistible burlesque en pompes funèbres, où s’impose la question du contour, de l’apparence, du chiqué (style, forme du cercueil ou de l’urne funéraire, enterrements-spectacles, petits commerces de mort), tout un théâtre autour du grand mystère, du vaste trou noir. Il y eut la chambre jaune, boîte fermée, case aberrante, scène de crime gaguesque autour de laquelle Rouletabille déployait ses non moins absurdes machines à déduire ; il y eut Frédéric Lansac, qui dans Le Parfum de la dame en noir devenait littéralement Fantômas, c’est-à-dire énigme, question, point d’interrogation, mystère de mort et d’amour ; il y eut, dans Bancs publics, la machine à faire des trous, le tunnelier fou. Il y aura désormais, en plus, le trépas de Mémé.

Le drôle, dans Adieu Berthe, c’est aussi de faire de Mémé le grand amour d’Armand, amour au moins triplement impossible (parce que c’est la grand-mère, parce que la grand-mère est morte, et parce qu’il ne l’a pour ainsi dire jamais connue – réminiscence incestueuse du Parfum de la dame noir). De film en film, Podalydès décrit un désir qui au lieu de jaillir vers l’extérieur (la métaphore volcanique est filée – et moquée – par le film, où l’on apprend qu’Haroun Tazieff ne s’appelle pas Tazieff mais Taziouff) s’enroule en spirale, se plie et se replie, cherche les confinements, les cloisons, les petites boîtes, les cercueils et les urnes. Ultime tour de force et d’humour pour le héros podalydésien : s’enfermer exprès pour prouver qu’on peut s’en sortir comme ça, tout seul, en autiste, en magicien (pour ne citer qu’elles, les toutes premières images d’Adieu Berthe, hilarantes, où la tête d’Armand, comme jadis celle de Larsan, est emprisonnée dans une caisse magique), réaffirmer envers et contre tout une croyance aveugle, infiniment touchante, dans les pouvoirs de l’illusion. C’est très beau, donc, ça va assez loin, ça domine totalement la comédie française.