Ça fait mal, c’est vrai, de décerner un satisfecit à Roland Emmerich (Le Jour d’après) et dans la même semaine coller un carton jaune à Kiarostami. Pas en forme, le Abbas : on redoutait depuis quelques temps que l’Iranien -dont on n’aura pas l’outrecuidance de rappeler qu’il a fait quelques-uns des plus beaux films du monde- mette à exécution ses menaces : son fantasme de la disparition du metteur en scène, s’il débouche sur le génial Ten, nous ravit. Mais Five, sorte de point de non-retour dans ce trajet vers le néant, mérite une fin de non-recevoir. Kiarostami est clairement à la recherche d’une refondation du cinéma, de sa réinvention, une manière d’aller là où Bazin ou Rossellini n’auraient jamais osé aller : la page blanche, le degré zéro de l’enregistrement du monde. Cela donne Five, hommage à Ozu par Kiarostami en 74 minutes : cinq plans sur la mer, séparés par de sympathiques fondus blancs. 1. la plage (caméra à la main), la lisière mer/sable, un bout de bois qui met une poignée de minutes à se casser en deux (événement), deux bouts de bois donc, désormais vont et viennent au rythme des vagues. 2. plan fixe : la mer au loin, des gens (et des anges) passent. 3. même chose, cette fois avec des chiens (c’est pas des phoques ? suspens) qui finissent par changer de lieu de sieste. 4. Pareil, avec des canards qui font la queue leu leu de gauche à droite, puis de droite à gauche -« coin coin » disent-ils. 5. Là on voit quasiment rien, c’est la nuit, la lune se reflète dans l’eau, les grenouillent croassent.

Quelle naïveté dans ce film qui se rêve en aube du cinéma : naïveté du dispositif, naïveté documentaire, ringardise de l’ensemble qui pourrait passer pour le TP d’un étudiant en arts plastiques prétentieux. Pourtant on a besoin, infiniment, de Kiarostami. Alors qu’il revienne au cinéma ou qu’il arrête tout. 10 on Ten, sorte de bonus DVD accompagnant Five, est quand même plus intéressant, mais guère encourageant : sur la route du Goût de la cerise, Kiarostami au volant filmé comme l’héroïne de Ten, récite son Bresson, convoque Nietzsche, donne quelque infos sur le modus operandi qu’il s’est choisi. Puis s’arrête, fait un petit pipi hors champ, balance un haïku et filme -ô hasard- une fourmilière s’agitant juste à l’endroit où il s’est arrêté. Parfois les escroqueries des grands cinéastes valent le coup d’œil, quand il leur reste la joliesse et le savoir-faire (cf. 2046, la clinquante entourloupe cannoise de Wong Kar-wai). Parfois elles nous ennuient. Ça fait mal et pourtant c’est vrai, et on n’aimerait ne plus jamais avoir à écrire ça : plutôt que le Kiarostami, allez voir le dernier Emmerich, c’est quand même moins chiant.