L’oeuvre en bande dessinée de Yûichi Yokoyama ne ressemble à rien d’identifiable en tant que tel, le fait qu’il soit Japonais ne change rien à l’affaire. Les pages qui composent Travaux publics -on n’ose à peine parler de récits- on été originellement publiées dans Comic Cue, l’une des revues de manga alternatif, où elles n’en détonaient pas moins par rapport à l’ensemble. Heureusement pour nous, l’éditeur français du présent recueil a pris soin de publier en introduction un texte spécialement composé par Yokoyama, où celui-ci nous éclaire sur ses intentions fondatrices. On y découvre un auteur blindé sur plan théorique, dont l’idéal (révolutionnaire) consiste à pondre « des manga sans histoire » : « Si j’élaborais moi-même une histoire, elle serait entachée de la conscience et des intentions de l’auteur que je suis, et c’est ce que je veux éviter ». Point de message ici, seulement des phénomènes indiscutables, obéissant à une volonté supérieure. Car comme l’indique le titre du recueil, il sera ici question de grands travaux : des rotatives déchirent un paysage vierge pour créer des sillons là où un cours d’eau pourra s’épanouir, d’immenses pales creusent un puits artificiel où quelques individus pourront s’extasier devant les fonds marins, une montagne sort de terre en quelques minutes grâce à un largage intensif de blocs de granit et une poignée d’ouvriers… Pour qui, pour quoi ? Peu importe, l’intérêt est ailleurs : « Je veux décrire des événements naturels qui progressent comme un typhon ou un déluge, sans rapport avec la volonté humaine ».

Voilà pour l’idée de base. Pour le reste, les segments qui composent Travaux publics apparaissent pour la plupart « sans début ni fin », présentant des personnages  » sans psychologie « . De la bande dessinée formaliste, vidée de toute substance, à la limite de l’abstraction, dans le fond comme dans la forme. Peintre de formation, Yokoyama élaborait des images grand format, où des personnages étaient saisis dans des attitudes de vie quotidienne. Que s’est-il passé avant ? Qu’arrivera-t-il ensuite ? Voilà ce qui l’a amené vers la narration séquentielle. Chaque segment semble ainsi improvisé à partir d’une image fondatrice et peut se voir comme une succession de tableaux, où le langage ne joue qu’une importance minimale au profit du son. Rarement bande dessinée aura été de la sorte envahie par les onomatopées, devenant parties prenantes de la composition des images, vidées de leur sens par la répétition pour devenir pur élément iconique. Travaux publics inaugure la collection Imagème d’un tout jeune éditeur baptisé Matière, qui présentera dans les prochains mois d’autres anthologies thématiques de Yokoyama. Le travail d’adaptation est impeccable, et une fois la démarche de l’auteur intégrée, il n’est pas interdit de prendre à cette lecture un vif plaisir.