Chaque mois offre son lot de nouvelles traductions des oeuvres d’Osamu Tezuka, le secret le mieux gardé du patrimoine des littératures dessinées. Alors que ses titres les plus populaires – à l’exception d’Astro boy – sont désormais disponibles en français (Bouddha, Phénix, Black Jack, etc.), les éditeurs francophones rivalisent d’ingéniosité pour dénicher des perles méconnues au sein de sa monstrueuse bibliographie. Revue des dernières sorties marquantes :

Prince Norman, vol. 3 : Suite et fin des aventures de Taku, Terrien projeté cinq millions d’années dans le passé pour voler au secours des habitants de l’Empire stellaire de Moko grâce à ses dons de télékinésie. Lui qui a vu son père assassiné, sa mère congelée vivante, son corps détruit puis remplacé par un squelette cybernétique, doit maintenant se préparer à la dernière bataille contre l’envahisseur Gueldan, qui sera fatale à la plupart de ses compagnons… En confrontant malgré lui un jeune Japonais à la cruelle réalité de la guerre, Tezuka exorcise les blessures du passé et impressionne par son audace dans le cadre d’un récit originellement destiné aux écoliers – à l’instar de L’Ecole emportée de Kazuo Umezu, dont il partage la sacralisation de l’Amour maternel, vu comme une force cosmique -, anticipant en outre sur tout un pan de la SF nippone, de Gundam à Evangelion. Prince Norman, créé en 1968, est de plus extrêmement abouti graphiquement. Un chef-d’oeuvre, parfaitement traduit et édité.

I.L. : Pour paraphraser Truffaut, I.L est un grand livre malade. Car de la même manière que Hitchcock n’a jamais été meilleur que dans le film d’aventure superficiel, on sent Tezuka mal à l’aise lorsqu’il s’aventure dans des récits pour adultes. Conçu au début des années 70, I.L accuse son âge dans le design délicieusement vintage des personnages et des décors, témoignant de la tentative certes brillante mais fatalement maladroite de la part de l’auteur d’Astro boy d’aborder des enjeux politiques, sexuels ou des phénomènes de la contre-culture de l’époque. Tezuka est en outre, comme il l’admet en postface, parfaitement incapable de dessiner le corps féminin… Le point de départ de cette suite d’histoires courtes dans la veine de Barbara est néanmoins passionnant: une femme immortelle, douée d’un don de transformation prend la place d’autres individus, sous l’égide d’un cinéaste raté, orchestrant là une véritable mise en scène du réel. Il est lui-même manipulé par un club composé de créatures mythiques, décidé à résister ainsi au rationalisme triomphant des sociétés modernes.

Tezuka – Histoires pour tous, vol. 1 : Parallèlement au décevant Dororo, Delcourt publie le best of des histoires courtes de Tezuka en 20 volumes, très justement sous-titré en français Histoires pour tous. Tezuka est en effet l’un des rares auteurs de bande dessinée à pouvoir rivaliser avec l’universalisme de Tintin, et ces histoires sont bel et bien lisibles de 7 à 77 ans. Ce premier recueil est entièrement composé de nouvelles évoquant la seconde guerre mondiale, certaines étant autobiographiques. Ce sont d’ailleurs les plus émouvantes: né en 1928, Tezuka y évoque ses années d’apprentissage, et la manière dont les funestes événements liés à la guerre ont influencé son parcours artistique. Tel le récit de sa relation avec une jeune actrice défigurée par un bombardement, dont il n’aura de cesse de faire revivre le visage à travers ses mangas, qui en dit à lui seul plus long sur Tezuka que les 4 volumes de la biographie réalisée post-mortem par son studio. Mais la meilleure histoire de ce recueil est une fiction: Zéphyrus, qui prouve, s’il en était encore besoin, à quel point Tezuka maîtrise l’art subtil de la nouvelle.

Hato, vol.1 : Après Prince Norman, Hato est une autre pièce importante du puzzle Tezukien exhumée par Cornélius. En effet, contrairement à ses feuilletons au longs cours, souvent inégaux, Hato se distingue par le soin constant apporté à l’intrigue et au dessin, d’une remarquable cohérence tout au long du livre. Tezuka revisite ici le registre du conte traditionnel, dans la lignée des récits moyenâgeux japonais, mêlant le bestiaire folklorique nippon – tengu, kappa, tanuki, renard – avec les figures imposées du jidai-geki: duels de samouraïs, révoltes paysannes, etc. Plus ouvertement enfantin que Prince Norman, Hato relate en parallèle le parcours de deux frères dont le destin est de s’opposer aux Dieux de la montagne, qui se livrent une guerre sans merci au détriment des hommes, abordant des enjeux dramatiques proches de ceux de Princesse Mononoké. Cette série en 3 volumes est présentée comme un « roman graphique » par l’éditeur, car elle mêle bande dessinée et texte illustré. Mais ce qui apparaît au départ comme une expérience originale devient finalement un handicap: les passages écrits sont souvent redondants par rapport aux images, alourdissant la narration limpide de Tezuka.