The Dream hunters n’est pas à proprement parler une bande dessinée. C’est un petit livre illustré, petit par la longueur du texte. D’ailleurs on ne s’intéressera pas à son auteur, Neil Gaiman, créateur fort honorable -et fort honoré- de la série « The Sandman », et traducteur du long métrage d’animation Princess Mononoke pour l’exploitation américaine. Non, ce qui retient évidemment notre attention ici, c’est l’illustrateur, Yoshitaka Amano, artiste très populaire au Japon et qui commence à percer chez nos amis adeptes de la chaise électrique. En France, à moins d’être féru d’illustration japonaise, peu nombreux sont ceux qui ont entendu parler d’Amano. Pourtant, la génération des quasi-trentenaires a probablement dû jeter un coup d’œil larmoyant sur sa série animée, Hutch the honey bee, sorte de Maya l’abeille déprimiste. Il est surtout le character designer d’une grande partie des épisodes de la série de jeux vidéo Final fantasy, notamment l’opus numéro six, fortement empreint de la profonde mélancolie que dégagent les personnages d’Amano.

Neil Gaiman, très impressionné par le travail de l’artiste, lui aurait donc proposé d’illustrer sa « retranscription » d’un vieux conte japonais au cours duquel une renarde essaye de sauver un jeune moine, dont elle est amoureuse, des griffes d’un seigneur félon qui tente de l’assassiner à travers ses rêves… Pour mettre en images cette légende ô combien folklorique, Amano a délaissé son habituel univers d’heroic fantasy sombre et éthéré pour revenir à un dessin plus traditionnel, souvent proche d’Hokusaï, mais sans trahir son style personnel. Soit un lavis de couleurs sombres, entre bleu nuit et ocre doré, parfois rehaussé de teintes plus vives. Le tout forcément influencé par le travail de Klimt -pour la sophistication des compositions et des parures qui ornent ses personnages-, ou de Giger -pour la noirceur organique de son univers. On notera aussi la troublante ressemblance du personnage du Roi des rêves avec la plupart des héros de Tim Burton, teint pâle et cheveux noirs ébouriffés. Une mixture qui fonctionne à merveille et qu’Amano maîtrise désormais parfaitement, offrant à chaque page une splendeur visuelle rarement atteinte.

On peut difficilement cacher que ce Dream hunters est surtout un prétexte pour faire découvrir au lecteur curieux un futur grand de l’illustration, et ses portraits de personnages froids, dégagés du monde qui les entoure, hautains et précieux. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, terme trop souvent galvaudé, plutôt une œuvre de commande, mais qui synthétise parfaitement le travail d’un artiste encore trop méconnu. En attendant qu’un éditeur français courageux veuille bien sortir du ghetto des imports l’œuvre d’Amano, on pourra toujours découvrir grâce à The Dream hunters -avec ou sans surprises, c’est selon- que le Japon n’est pas uniquement la patrie du manga pré-formaté et ultra-codifié. Il abrite aussi en son sein des dessinateurs plus inhabituels, en marge de la bande dessinée de grande consommation, à l’imaginaire somptueux et intrigant.