Il y a différentes manières de visiter l’exposition L’Art des Super-Héros Marvel: les jeunes spectateurs qui ont découvert ces personnages par le biais des films produits par le studio Marvel auront sans doute plutôt tendance à être attirés par les très nombreux dessins préparatoires, maquettes et accessoires ayant servi à leur réalisation – au premier rang desquels le bouclier de Captain America –, tandis que les amateurs de comics purs et durs n’auront d’yeux que pour les 300 planches originales choisies parmi les plus belles de la longue histoire de la « Maison des idées ». C’est précisément toute la réussite de cette exposition que d’avoir su ainsi concilier les attentes de plusieurs générations, et deux approches radicalement différentes de la bande dessinée populaire américaine: l’Art et l’entertainment.
Côté entertainment, la construction de l’exposition surfe sur le succès des films des studios Marvel, la première grande salle étant exclusivement consacrée à Captain America (sortie du Soldat de l’hiver oblige), les suivantes aux autres membres de l’équipe des Avengers puis aux autres stars du Marvel universe (les X-men, Spiderman mais aussi les moins connus: Iron Fist, Nova, etc.) avant de terminer sur le versant « cosmique » de cet univers, afin d’annoncer la sortie des Gardiens de la Galaxie cet été au cinéma. Concernant les films, on retient tout particulièrement la volonté – consubstantielle à la création de ce musée et avant cela, de la galerie qui lui a servi de matrice – de mettre en valeur le travail des « Concept artists », à savoir les illustrateurs qui conçoivent les costumes des super-héros pour leur passage à l’écran, mais pas seulement : leurs illustrations préparatoires permettent également de définir les postures à adopter par les acteurs et l’ambiance générale des scènes les plus marquantes des films. La présentation de ce travail permet de prendre conscience de l’immense dette des films à l’égard de ces illustrateurs admirables (pour peu que l’on ne soit pas allergique à la peinture numérique), au premier rang desquels Adi Granov, Charlie Wen et surtout Ryan Meinerding (qui signe l’affiche de l’exposition), dont certaines illustrations ont été reproduites telles quelles à l’écran. Plus largement, cette mise en valeur permet de comprendre que l’indéniable réussite des films du studio repose sur un processus de création qui s’appuie sur l’écurie de dessinateurs issus de la maison d’édition, et donc sur un primat du dessin sur la prise de vue réelle.

 

Sur le plan artistique, l’exposition s’appuie sur une très belle sélection de dessins originaux – appartenant pour la plupart à des collectionneurs privés, notamment français, d’où le caractère d’exclusivité mondiale de l’événement – pour mettre en valeur les grands artistes qui ont façonné l’histoire de Marvel. A ce titre, il faut saluer le travail de recherche et de sélection opéré par Jean-Jacques Launier (le commissaire de l’exposition), qui ne pouvait bénéficier pour cela de l’appui de Marvel, l’éditeur possédant peu d’originaux anciens. Les cadres de la société les considéraient en effet comme sans valeur jusque dans les années 70, les offrant ou les vendant à vil prix, ce qui leur a été beaucoup reproché par la suite. Autre cadavre dans le placard de l’éditeur : le débat sur la paternité des premiers super-héros du panthéon Marvel, officiellement fruits d’une collaboration à part égale entre Stan Lee (scénario) et Jack Kirby (dessin) – une version des faits violemment contestée par Kirby à la fin de sa vie dans cet entretien du Comics Journal. L’exposition ne prend évidemment pas parti sur ce point, Lee apparaissant par le biais des vidéos qui jalonnent le parcours tandis que l’apport de Kirby (dont on a redécouvert récemment Kamandi) est largement souligné par les dizaines de planches présentées, toutes sublimes.

 

Le reste des planches permet de rendre hommage à tous les dessinateurs-stars de l’écurie Marvel, sans notable exception, des années 60 aux années 2000, cette accumulation produisant sur l’amateur de bande dessinée un état proche du syndrome de Stendhal. C’est d’ailleurs le seul reproche que l’on pourrait faire à l’exposition: pour rendre justice au travail de ces artistes pour la plupart méconnus, peut-être aurait-il fallu utiliser les lieux différemment, afin de matérialiser beaucoup plus fortement deux parcours parallèles qui auraient pu s’entremêler, l’un axé sur les personnages, l’autre sur les créateurs. Cela aurait permis de réserver intégralement certains espaces à une présentation plus étayée des oeuvres de certains dessinateurs-phares (outre Kirby, on pense par exemple à John Buscema, Steve Ditko ou John Byrne), ici éparpillées dans la masse hétéroclites des matériaux présentés et finalement éclipsés par les personnages qu’il ont popularisés. Cette présentation ne permet pas à un public non-averti de prendre conscience de l’apport spécifique de chacun et elle ne donne pas aux amateurs le confort de contemplation qu’on serait en droit d’attendre d’un musée d’art. On ne boudera néanmoins pas son plaisir, et on conseille vivement à quiconque s’intéresse de près ou de loin à la figure du super-héros de ne pas manquer cet événement incontournable.