Dans un monde où le comic book de Superman est ultra populaire -le nôtre donc-, un ado américain que ses fans de parents ont baptisé Clark Kent se découvre, depuis sa campagne natale, des pouvoirs identiques à ceux que possède l’idole de bande dessinée. Le fantasme de la justice pourrait-il enfin s’incarner ? Eh bien non, car très vite le réel dessein de cette parabole transparaît. A la mise en abîme des premières pages, reflet d’une légende populaire sur les aspirations d’un gamin banal en demande de justice, succède le besoin de réécrire une nouvelle vie au plus célèbre des superhéros, et de lui reconstruire une stature plus moderne, en adéquation avec son temps. Dès lors, l’écart entre le mythe du Superman original et les errances de ce duplicata humain stigmatise une à une les inconduites qui émaillent son parcours le long du XXe siècle.

Ce sujet, le déficit d’aura que connaît aujourd’hui l’encapé kryptonien dans le paysage du comic book moderne, la nouvelle mouture cinématographique de Bryan Singer l’évoquait, elle aussi, au début de l’été. Or, si cette dernière n’y voit qu’une difficulté à croire en l’invulnérabilité après le 11/09 -l’égoïste était en vacances sur sa planète natale, il y a toujours des failles-, le comic développe une réponse plus pragmatique. Il sous-entend une possible désuétude de la figure et donc, sa mortalité. De cette tristesse poétique que seul le crépuscule des dieux provoque, l’aventure peut se lire comme une incitation pour le fan à accomplir son travail de deuil. Certes, le besoin absolu de foi, l’interventionnisme généreux d’un messie qui sombre sous le feu de l’humanité, sont toujours les moteurs tragiques qui animent ce Superman nouvelle génération -et pour cause, il est inspiré par l’original qu’il a lui-même lu enfant. Mais ici, nul rachat ou résurrection ne lui sont possibles ; il doit s’éclipser. Cette solution inédite, la mort sans perspective magique de retour, l’humanité de ce nouveau Clark Kent aide à l’accepter. Ainsi, les performances du surhomme baissent avec l’âge, ses attributs sont ringardisés par la modernité. Et lors du final, la bande dessinée rejoint le film autour de l’idée qu’une descendance est le seul legs possible de Superman à l’humanité. Une simple coïncidence ? Rien n’est moins sûr, car au final il est peut-être ici le moyen de mettre au placard ce Hérault d’une modernité passée et le justaucorps bleu qui l’accompagne : lui donner des enfants innocents, détachés de l’histoire américaine, et donc capables de prendre le relais de la sauvegarde du monde avec plus d’à propos. Dans ces conditions, l’existence du plus grand superhéros du XXe siècle pourrait finalement ne pas être tout à fait vaine.